Le samedi 8 juin, Alain Gauthier était au Studio 104 de la Maison de la Radio et de la Musique (Paris) pour écouter la musique de Martial Solal jouée par l’Orchestre National de Jazz que dirige Fred Maurin.
Malgré le temps estival, les stridences de quelques martinets survivant à la disparition massive des insectes, les promotions commerciales invitant à consommer plus pour vivre plus et l’envie de flâner le nez au vent, il s’est trouvé assez d’auditeurs pour emplir totalement le Studio 104 de la Maison de la Radio, lieu exemplaire des concerts live du service public. Tous venus pour écouter le dernier opus de l’ONJ version Fred Maurin : Martial Solal Dodecaband joué par : Bruno RUDER piano, Raphaël SCHWAB contrebasse, Rafaël KOERNER batterie, Fabien NORBERT, Joël CHAUSSE et Ysaura MERINON trompette, Fanny METEIER tuba, Daniel ZIMMERMANN et Jessica SIMON trombone, Jean-Charles RICHARD sax baryton et soprano, Julien SORO sax alto et soprano, Fabien DEBELLEFONTAINE sac ténor, soprano, clarinette et piccolo.
Au programme, les œuvres du dodécaband de Martial SOLAL, génial pianiste-compositeur -arrangeur. À noter que ses œuvres-Isocèle, Satin Doll, Méli-mélodie, In a sentimental mood, Version sans thème et Texte et prétexte- n’ont jamais fait l’objet d’un disque.
Avec Isocèle on entre dans le vif du sujet avec l’opposition complémentaire trio p-cb-dms/ neuf souffleurs qui, dans une jeu de questions-réponses, met au centre du jeu le pianiste en lieu et place de Martial Solal. C’est pêchu, clair, net, précis, millimétré, même les silences sont carrés. Et il n’est pas question de lever le nez de la partoche pour mater le premier rang des auditeurs tant la mise en place nécessite une attention extrême.
Dans Satin Doll , le pupitre de sax la joue tous-au-soprano pour des bribes de thème dans l’aigu, et, marque de fabrique de Solal, ça court de l’une à l’autre façon puzzle, une bribe ici, une autre là, une note à la trompette, une autre au trombone : à l’auditeur-ice de nouer le fil. Et là aussi, la patte de Solal : inutile d’attendre un quelque chose de durable, de repérable et de s’y habituer : intranquillité et changement permanent sont au programme, à bas les clichés, la vie musicale est dans le mouvement.
Méli-mélodie confirme la puissance de frappe du dodécaband : ça ne ronronne pas, ça arrive enflé à l’extrême, rond, plein, dense, homogène, une claque dans la gueule, un direct au foie, on se plie en deux, game over. Le trio triote, rejoint par les souffleurs du fond ( trompettes, trombones et tuba ) puis tout le monde tutti avant un solo de piano façon Solal. On s’y tromperait, Ruder est entré à donf dans le rôle. Les souffleurs viennent ponctuer son propos, une pêche ici, un semblant de riff là, c’est beau, très beau.
In a sentimental mood décliné par le piccolo, le baryton, l’alto et le trombone, nous emporte dans la douceur après la fureur précédente. Oui, ce dodécaband ose le tendre, le smooth, le murmure, le soyeux, à croire que chacun se retient, retient son souffle, suspend, attend. Arrive enfin le thème, entre piano et trompette. Tout simplement.
Version sans thème relance la grosse machine à nuances disruptives (oui, on passe subito presto d’un extrême à l’autre ), là aussi, variété requise comme dirait Ashby : complexité et choix multiples, et encore un jeu pêchu, couillu ( mes excuses aux musiciennes ), énergie tchernobylesque avant cette chute tout en douceur pour rompre avec le tintamarre précédent. Et surprendre notre attente.
Texte et prétexte confirme pour ceux qui en auraient douté, la folle virtuosité de ce dodécaband : le tempo high de cette pièce renvoie Donna Lee à son déambulateur et déçoit le petit commerce de la boulangerie : aucun pain à récupérer.
On n’a pas eu de longs solos à même de mettre en valeur l’une ou l’autre ( sauf le pianiste of course ) et on sent combien chacun-e se met au service du Grand-Tout-à-Douze. Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin comme disent les énervés des gigabassines et de l’A69. Ça vaut pour ce Dodécaband historique.
Graaaaaaaand plaisir partagé.
Pour écouter ou ré-écouter ce moment inoubliable et historique, noter sur son agenda : 7 septembre 2024, sur France Musique.
Maison de la Radio et de la Musique
116 avenue du Président Kennedy
75016 Paris