Marceau Brayard assistait à ce concert solo le vendredi 29 mars 2024 au Périscope (Lyon)
Le Solo c’est la culture de la privation du collectif, le continuum groupal n’y est plus assuré. Pas de leader dynamiseur à la prétention initiatique sur lequel se reposer. La locomotive ce soir-là sera incarnée par Tatiana Paris. Soliste confrontée à sa prééminence absolue d’engagement à sa propre parole d’usage, pour aller se prouver à elle-même une capacité volontariste.
Nous observons rapidement que dans cet exercice elle ne reste pas longtemps seule isolée sur scène. Elle communique des informations, pose des questions à l’assistance, lui soumet ses impressions. Bref, sa communication naturelle s’effectue sans intentions excessives mais faite du retrait de toutes complaisances, ceci provoque une connivence implicite bien dosée. L’échange passe nécessairement par une relation de face-à-face où le regard joue un rôle de régulation entre elle et un public debout verre à la main pour écouter ce moment offert.
Son balancement d’humeur varie entre ses déclarations propices à faire réagir ce public et pour repartir dans sa lancée. Sa valence émotionnelle orale vient s’accomplir au détour de l’œuvre littéraire d’Anne Calas « Littoral 12 » (extrait juste à titre d’exemple) :
"…temps mécanique temps vécuMinéralité permanenteun pied puis l’autrenous avançonsà reculons / prudemmenttrèsprudemmentsans nous retournervent dans ton dospoussière d’or..."
Dans ce passage fameux pour son engagement, il revient à la musique de subsumer l’ensemble, sous les formes d’un entendement réfléchissant à la face de ce collectif à l’écoute. Il y a dans cette dynamique individuelle un vrai ressort accompli dans la plus pure des expressivités, capable d’entrainer sa conviction profonde. Le texte vient médier l’acte expressif dans l’instant de la récitation fredonnée par son ouverture d’altérité passagère en irruption ponctuelle et à la déhiscence subséquente des images remplies d’affects.
Elle tisse ses liens entre la représentation du bon grain instrumental et l’imagerie du chant lui interdit de cliver ces deux puissances de la raison, propre à son univers très personnel. La symbolique de ses échanges d’avec son instrument de prédilection montre comment elle l’utilise tel un objet transférentiel lui permettant de traduire son état d’esprit du moment. Dans un mouvement transitoire, le corps à corps qu’elle opère avec lui, souligne la distance essentielle qu’elle sait lui imposer horizontalement sur le champ de bataille continuel qu’elle contiendra avec le sens du renversement nécessaire à l’exploit. Pour la bonne et simple raison qu’elle reste elle-même en se laissant enchevêtrée puis portée par ses représentations bien éloignées au maximum du conventionnel et de l’acte artificiel.
Une fabuleuse accumulation d’effets traverse son noyau intime, il s’y révèle une vision généreuse faite de volte-face et de soudaine levée de bouclier capable de troubler l’observateur bon teint pas trop habitué à ces écarts intempestifs.
Une cinquantaine de minutes durant lesquelles nous avons été plongés dans un bain sensoriel ininterrompu. Nous quittons les lieux du Récif ce premier petit festival printanier. Il peut se poursuivre sans nous, libre de toute activité avec cette entrée porte ouverte, pour finaliser les ingrédients de la complétude programmatique. Ce que nous avons écouté nourrissait suffisamment et abondamment notre imaginaire, dans cette petite salle d’origine du lieu historique. Il n’était nullement nécessaire d’en rajouter une ration supplémentaire dans la nouvelle grande salle et s’y enfourner avec deux nouveaux groupes à suivre.
Nous nous dirigeons donc vers la sortie, une variété collective de narcissisme s’abreuve, sans nul doute l’esprit du temps agrippé à ses addictions existentielles multiples et variées.
Et qu’adviendrait-il du merveilleux si nous nous en détournions en bloc primitivement au nom de la réalité méprisable en constante progression du côté de la laideur ambiante devenue machinale ?