Une conférence d’Amaury Cornut et un récital de piano de François Mardirossian
Mardi 02 avril 2024
Périscope, Lyon
Pour participer à cette soirée il fallait aller dans la partie « Cafés Culturels » de l’agenda. Il s’agit d’un concept particulier où aucune boisson de ce type ne vous sera proposée, cela consiste juste de vous faire découvrir un parcours lié à la culture.
Au lieu d’un improbable cours magistral rébarbatif, Amaury Cornut dont le patronyme retentit tel un véritable aptonyme à la vue du casque à cornes de viking porté par le compositeur en question, il nous expose le contenu biographique de son ouvrage. Avec cette approche précieuse il nous emmènera avec lui en première partie, dans l’anamnèse de vie et l’œuvre de Louis Thomas Hardin, dit Moondog, compositeur, auteur et musicien américain né le 26 mai 1916 à Marysville et mort le 8 septembre 1999 à Münster. Il faut préciser ses propos très personnels vis-à-vis du Jazz avec cette petite phrase : "Ma conception du Jazz est plutôt orientée Indiens d’Amérique". Cette vision se retrouve dans les rythmes qu’il emprunte dans sa musique, mais on peut aussi constater qu’elle ne représente pas un caractère unique dans l’ensemble de ses compositions. Ce qui explique cette attirance vient du fait que son père missionnaire catholique fut envoyé dans les réserves indiennes du Wyoming et que vers l’âge de 6 ans il fit jouer du tom-tom à son fils avec des Indiens Arapahu. Avec sa mère institutrice organiste il découvrait d’autres nuances musicales au sein du foyer. Par la suite à l’âge de 16 ans alors qu’il manipulait un bâton de dynamite, l’explosion le plongea dans un monde d’obscurité.
Il est tout à fait impressionnant de constater l’incommensurable force de vie chez Moondog au regard de son histoire tragique. Il a pu se réapproprier cet accident pour le transformer avec une grande capacité d’investissement vers sa créativité musicale en forme de rempart, propice à dresser une défense vitale contre le désespoir et toute menace d’anéantissement. Comment comprendre autrement, voire mieux, cette fragilité visuelle par ses constructions allant du cérémonial émotionnel aux plus fines mélodies scandées. Ceci reste son emblème de territorialité par lequel il devait dépenser une énergie psychique importante, pour s’éloigner des autres courants musicaux ambiants. Sans se laisser aspirer par les nombreuses influences de l’époque, au risque de s’y engouffrer à son insu. Ce qui lui a été dérobé au niveau de la vue, il le déplace sur une extension de son cheminement pour suivre ses incurvations signifiantes répétées, afin de pouvoir se déplacer en premier lieu dans sa tête, son seul réseau intérieur captif pour faire émerger ses visions. Il aurait pu plonger dans le catastrophisme que lui imposait dans le réel cette cécité accidentelle intervenue à l’adolescence. Lui choisit de ne pas laisser sa personnalité être mise sous de boisseau de l’oubli total et définitif. Se refusant ainsi à vivre une certaine silenciation sans récit ni mémoire. Une fois séparé du giron familial sa détermination va prendre une tournure décisive, puisqu’il ne fera rien comme tout le monde pour se libérer des espaces coercitifs et ainsi tendre vers une épure très précise. Il détermine ainsi spatialement quelque chose de sa monstration de sujet acteur dans la sixième avenue newyorkaise. Il se déploie par le maniement d’une posture peu commune pour rythmer le temps à sa mesure. Cette rue dans laquelle il transite en situation migratoire devient un espace à partir duquel il échappe à tout contrôle. Il devient en quelque sorte le maître de lui-même pour vivre hors du temps ordinaire, géré exclusivement par son souci principal de faire alliance avec le principe de la création musicale et de sa manière innovante à se fabriquer des instruments adaptés aux différents contenus exprimés en direct sur l’asphalte.
Par cet exposé le message implicite était le suivant, lançons-nous avec lui sur le versant masqué de la Lune, pour y découvrir quelques pierres lunaires ostensiblement déposées à notre intention pour nos oreilles curieuses avides de découvertes. Cette petite excursion nous permettra en effet d’apercevoir le phénomène muni de son enveloppe tégumentaire du viking des temps modernes planté sur la 6ème avenue de Manhattan. Sans chercher à imiter il s’invente et trouve son style. Il y parvient pris par cette volonté tenace. Il fait tomber les cloisons des modes de l’époque par sa vision musicale propre dont beaucoup vont s’inspirer par la suite. Il mettra en lien des conjonctions impensables entre les instruments. Une façon plausible d’échapper à la douche froide de la normalisation et de ne rien perdre de sa magie dont il semblait habité intérieurement par de nombreux scrupules proches de la perfection perpétuelle à trouver incessamment. Philip Glass avec lequel il a vécu presque une année en 1970 décrit très bien cet état de recherche. Il lui parlait de ces morceaux conçus quand il était jeune homme, dont il changeait le rythme en permanence et qu’il continuait encore et encore certaines nuits sans relâche.
Debout il s’inventait un second souffle, pour lui la ville de New York parlait d’elle-même pour mettre en éveil son écoute d’où il composait seul, malgré cette forme d’errance à laquelle il se livrait ostensiblement. C’est ainsi qu’il trouvait sa parole son chant, en pleine liberté à la recherche de rythmes de sons de mouvements pour ne pas faire tourner sa musique comme un vieux disque rayé. Platon ne dit pas autre chose au sujet du rythme réel : "Vous distinguez le rythme dans le vol d’un oiseau, dans les pulsations des artères, dans le pas du danseur, dans les périodes du discours". Cette période urbaine durera une vingtaine d’années, pour ensuite changer d’environnement et venir s’installer en Allemagne. Il composera quatre-vingt-une symphonies, la liste est imposante on ne peut pas citer les sept cents trente deux autres titres connues. Il reste là-bas dans le Nord du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie des partitions écrites en braille jamais traduites à ce jour. De quoi alimenter le mystère Moondog pour de nombreuses années encore.
Mais il faut retenir les rencontres incroyables réalisées dans ces conditions de vagabondage, William Burroughs, Allen Ginsberg, David Bowie, Bob Dylan, Joan Baez, pour ne citer que quelques noms prestigieux. Il avait une certaine proximité avec Charlie Parker lorsqu’ils jouaient tard le soir à la sortie d’un club de jazz ou en écoutant Bach et Beethoven. Le projet d’enregistrer un album ensemble ne put se réaliser, le saxophoniste décédera trop tôt le 15 mars 1955 d’un arrêt du coeur chez la baronne Pannonica de Koenigswarter.
Et puis il y a ces pièces enregistrées pour piano par François Mardirossian que nous écouterons interprétées en deuxième partie. Le concertiste aime faire "kief" avec avec son instrument. Il endosse facilement sa peau de numéro solitaire face au piano des lieux. Il le chevauche par une minutie doublée d’une morsure remplie d’attentions rigoureuses. Il s’engouffre dans les notes en pleine certitude pour nous parler des plus fines intentions musicales du compositeur. L’oreille est sournoise parfois, elle peut déformer ou devenir sourde, confrontée à l’écoute devant laquelle elle perd ses repères ou ses références, si elle ne parvient à classifier ce qui perfore son orifice. C’est un peu la même chose pour ce titre choisi par Moondog "Iazz Book-1", puisque nous entendons une conception plus proche du ragtime que du Jazz moderne à proprement parler. Il faut bien deux mains assurées pour donner son haleine à ce titre aux divers points lumineux sans aucune digression. Amaury Cornut viendra l’accompagner à la Trimba sur deux morceaux, cet instrument percussif fabriqué par Moondog.
Louis Thomas Hardin dit Moondog avait un souhait profond "S’il vous plaît, prenez soin de ma musique". Et bien qu’il soit rassuré par la belle démonstration des deux intervenants de cette soirée. Ils ont su nous transporter dans son univers avec constance pour découvrir la richesse d’une partie de ses compositions musicales. D’ailleurs il reste un détail à éclaircir au sujet de son nom, il le choisira en mémoire de son chien Lindy hurlant à la Lune lors de ses virées nocturnes.
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