Entretien Avec Marie Christine D’Acqui, portrait d’une musicienne d’aujourd’hui
Le duo A Contrario, Sandrine Deschamps au chant et Marie Christine D’Acqui à la contrebasse sort leur second album D’ElleS sous la direction artistique de Daniel Yvinec. L’occasion pour nous d’en savoir un peu plus sur le parcours de Marie Christine D’Acqui musicienne issue du monde dit « classique » du conservatoire de Paris, qui s’est produite dans les plus grandes phalanges parisiennes sous la direction des plus prestigieux chefs d’orchestre. Aujourd’hui soliste à l’opéra de Massy elle évoque pour nous certes son chemin, mais aussi ce qui la motive : le jazz, l’improvisation et la création. Soyons franc, nous connaissons Marie Christine depuis fort longtemps d’abord comme enseignante mais aussi comme doctoresse d’un grand nombre de contrebassistes de jazz venus chercher chez elle les connaissances instrumentales qui leur manquaient pour franchir des paliers musicaux jusqu’ici interdits.
Marie Christine D’Acqui
J’ai grandi dans une petite ville de l’est de la France, fille d’immigrés italiens d’origine
sicilienne et vénitienne, une famille modeste, enfance heureuse mais sans beaucoup d’argent. J’ai découvert la musique à l’école primaire, une véritable révélation, en pratiquant la flûte à bec, pour moi un bonheur total, une porte c’est ouverte alors qu’à la maison il n’y avait pas de musique pas de disques (sauf des tarentelles siciliennes !). Le monsieur venait chaque semaine nous initier à la musique dans le but d’ouvrir sa propre école. Il a dit à ma mère « votre fille à une bonne oreille elle mériterait de faire de la musique ». Elle a dit non par manque de moyen, la seule façon a été d’attendre de rentrer au collège à Saint Dizier pour bénéficier de tarifs plus avantageux. J’ai continué à faire de la flute mais je rêvais de faire du piano, impossible. J’avais chez moi une bande de papier sur laquelle était dessinée un clavier pour m’entrainer et j’allais à l’école dont la clef nous avait été prêté pour travailler sur un vrai piano tout en continuant la flute. Mes parents ont réussi à acheter un piano, pour moi ça a été un véritable bonheur, pendant quelques années durant lesquelles j’ai bien progressé. Le directeur est venu nous voir un jour vers mes 14-15 ans en nous disant qu’il allait être inspecté et que quelqu’un devait jouer de la contrebasse pour dire qu’il y avait une classe pour cet instrument. J‘ai joué la corde grave et j’ai eu une sensation incroyable alors que je ne savais même pas à quoi ressemblait un orchestre, comme personne ne l’utilisait je l’ai prise chez moi. En fin de troisième j’ai appris qu’il y avait une classe à horaire aménagé à Reims, j’ai passé le concours au piano et en solfège qui s’est bien passé et lors de l’entretien le directeur m’a demandé si je jouais d’un autre instrument alors j’ai répondu oui de la contrebasse même si je ne savais faire que trois notes et là il m’a dit qu’il me prenait. A Reims avec le professeur de piano ça ne marchait pas très bien alors que le professeur de contrebasse m’avait accueilli avec un grand sourire et donc petit à petit j’ai opté pour cet instrument. Mes parents n’imaginaient pas que l’on puisse vivre de la musique et ma mère m’a dit « mais que vas tu faire comme métier » j ‘ai répondu que je ne savais pas, mais que je voulais essayer ce chemin. elle m’a dit qu’il fallait que j’ai le bac et que je trouve du travail donc j’ai enseigné le solfège tout en continuant l’étude de la contrebasse classique. Par la suite je suis rentrée au CNSM dans la classe de Jean Marc Rollez et petit à petit j’ai découvert ce qu’était le métier, poussée par la passion et un besoin inexprimable.
Et une fois le CNSM passé ?
J’ai passé les concours d’orchestre où j’arrivais toujours deuxième et il faut le dire les femmes à l’époque n’étaient pas réellement acceptées, tu pouvais être remplaçante mais très rarement titulaire. J’ai alors pu jouer dans les grandes phalanges parisiennes, j’ai appris le répertoire orchestral sur le tas. J’ai découvert à l’opéra le répertoire lyrique j’ai adoré et ça a été vite les cachetons qui m’ont permis de rencontrer pas mal de monde. Je suis tellement heureuse d’être contrebassiste, je n’ai jamais envié les violonistes ou violoncellistes qui ont de beaux solos, le rôle de contrebassiste me satisfait pleinement, cette sensation de soutien et le plaisir de jouer en orchestre, de faire partie d’un pupitre de 8 contrebasses, ce son, je me suis nourri de ça, être soliste ne m’a jamais intéressé !!! Par contre jouer de la musique de chambre, en petit groupe ça oui.
Pourrais tu parler de ton rôle d’enseignante ?
Comme le reste c’est venu petit à petit, ce rôle de transmission est essentiel. J’ai été à l’origine de plusieurs classes de contrebasse dans les conservatoires de la ville de Paris qui à l’époque n’en avaient pas tous. Ce que j’ai toujours aimé c’est d’avoir à la fois des enfants et des adultes dans ma classe, qui venaient d’autres environnements musicaux, beaucoup de jazzman des gens qui venaient du théâtre, de la chanson. La différence d’âge a été un enrichissement, faire jouer le même morceau à un enfant ou un adulte est un échange intéressant. L’enseignement fait parti de la vie de musicien et plus j’ai avancé en âge et plus je pense en toute modestie avoir été une meilleure enseignante. On fait un métier magnifique, il y a ce rôle de transmettre une tradition que l’on a soi-même reçue des « anciens », ce qu’il n’y a pas d’écrit sur une partition et ça j’aime le donner à mon tour à mes élèves.
Et alors le jazz dans tout ça ?
En fait les premiers disques que je me suis acheté ont été Jean Marc Rollez qui jouait du Bottesini (contrebassiste italien qui a révolutionné le jeu à la contrebasse au XIX siècle) et Slam Stewart parce qu’il jouait l’archet en solo, j’ai toujours écouté du jazz et aussi du blues. Et puis au conservatoire beaucoup de jazzmen sont venus me voir pour apprendre l’archet et j’en profitai pour leur faire travailler la main gauche (rires de Marie Christine). Par la suite j’ai rencontré le guitariste Frederic Loiseau qui m’a fait réellement entrer dans le milieu du jazz. J’ai rencontré Claude Carrière (homme de radio, fondateur de Jazz Club sur France Musique, amoureux du jazz, excellent pianiste) avec qui on a fondé un groupe qui s’appelait le chamber jazz quartet. En fait je n’ai jamais essayé de jouer comme un contrebassiste de jazz mais d’assumer mon rôle de bassiste, ce que je savais faire, comme je fais de la musique de chambre. Si j’aborde un standard, j’ai une approche plus classique, je vais d’abord déchiffrer une partition étudier la mélodie et la ligne de basse et jouer comme je l’entends sans être influencé par une version, après je peux en écouter une ou deux versions, c’est ma façon de procéder. C’est cette liberté que j’aime dans le jazz, cette liberté créatrice qui peut exister dans le classique mais d’une façon différente, mais pourquoi opposer les deux ? En jazz je peux construire mes lignes de basses comme je veux construire une interprétation.
Et ton approche du swing ?
Ça c’est un travail, car chez moi ce n’est pas inné, c’est venu par à-coup. Parfois après une semaine à jouer un opéra de Mozart, j’ai besoin de temps pour retrouver le swing en jouant par exemple Ellington. En classique on trouve des compositeurs chez qui le rythme est très important comme par exemple chez Beethoven ou Stravinsky mais ce n ‘est pas tout à fait la même chose : sentir la pulsation sur le 2ème et 4ème temps par exemple, avoir un tempo vraiment immuable, jouer des croches « ternaires » sans accentuer le trait, c’est un travail ! Dans le jazz j’ai découvert cette richesse mélodique magnifique, je ne fais aucune différence avec du Schubert, Poulenc, Fauré et jouer Blood Count de Billy Strayhorn ou the Peacocks de Jimmy Rowles, c’est quelque chose de fabuleux ; Mais encore une fois je ne cherche pas à jouer comme les bassistes de jazz même si je les admire et les noms des contrebassistes qui me viennent à l’esprit et m’inspirent en jazz sont Oscar Pettiford, Charlie Haden et Larry Grenadier pour n’en citer que 3…Ils nourrissent chacun à leur manière mon idée du jeu jazzistique. Mais je tiens à garder mon identité, ce qui fait ma personnalité c’est le pizz classique, c’est mon langage comme le jeu à l’archet, pourquoi s’en priver, c’est ce qui fait aussi la richesse de cet instrument autant s’en servir.
Le duo A Contrario, les enregistrements
A CONTRARIO c’est une nouvelle aventure qui a commencé lors du confinement, la chanteuse de jazz, de blues, de pop Sandrine Deschamps habite à coté de chez moi et on s’est dit « faisons un peu de musique ». A Contrario c’est aussi deux personnalités différentes contraires, deux instruments aux antipodes, les graves et les aigus, quelque chose que je n’avais jamais fait, c’est une forme de création, partir d’un bout de chanson et développer quelque chose à partir des paroles, trouver un accompagnement qui raconte aussi une histoire. Sandrine a toujours composé des chansons, notre duo lui a permis d’approfondir ses compositions, elle a le sens aigu de l’improvisation, de l’instinct, à contrario moi je ne viens pas de là, c’est aussi ça qui fait notre singularité. Pour D’ElleS notre second album, nous avions envie de parler de destinées. Nous sommes deux femmes aussi nous parlons de choses qui nous touchent mais sans revendications, nous avions surtout envie d’évoquer des parcours de vie. Par exemple Send in the clowns, une mélodie magnifique, l’accompagnement à l’archet suggère le mouvement des vagues comme dans la vie, Canzone je l’ai écrit pour mon père, ses mains racontent son parcours, le travail de la terre mais aussi l’usine, des mains qui sont parties du fin fond de la Sicile, c’est aussi ma trajectoire personnelle qui m’a amené à écrire cette chanson, le morceau instrumental Hiura Viulo est le surnom de ma famille qui vent dire « qui flaire son chemin » on en revient au parcours et ce morceau je l’ai écrit dans cette optique comme une naissance, on part des tumultes graves vers les aigus avec une partie improvisée aux percussions et au baryton qui retourne vers la mélodie, Pannonica est un morceau écrit par un homme pour une femme, la mélodie est tellement belle comme la ligne de basse que nous n’avons pas voulu y toucher, elle est jouée telle quelle avec une intervention de Jean Charles Richard au saxophone baryton tout en finesse. Idem pour Mary’s Waltz, un hommage à Mary Lou Williams qui était tout simplement une superbe musicienne, Sandrine en a écrit les paroles. Pour ce disque, enregistré en 2 jours, quasiment que des premières prises, Daniel Yvinec a été très important, il nous a beaucoup écouté en répétition avec cette faculté à faire sortir le meilleur de toi même, de t’encourager à creuser aussi un chemin. Avec Sandrine nous avons voulu ajouter d’autres sons, pour cette raison nous avons demandé à Jean Charles Richard et le percussionniste Keyvan Chemirani d’intervenir, nous voulions des instrumentistes coloristes.
La suite…
En conclusion, la musique est large par ses différentes esthétiques, et je suis heureuse de creuser toujours et encore ses richesses et de pouvoir les fondre dans mon univers sans barrière ou frontière.
Concert le 13 février 2025 au studio de l’Ermitage 75020 Paris.
Décembre 2024 entretien réalisé et transcrit par Pierre Gros