Une histoire du Jazz électrique

Le groupe mythique est dissous depuis près de vingt ans et il aura fallu tout ce temps pour que paraisse enfin une étude exhaustive sur le « Bulletin Météorologique » (ce qui est arrivé de mieux dans le Jazz électrique), grâce à Christophe Delbrouck (né à Brest en 1966), musicien, compositeur, leader du Nasal Retentive Orchestra, journaliste, auteur de nouvelles et de biographies musicales sur Frank Zappa, Carlos Santana et les Who. Il est vrai que raconter cette fabuleuse histoire ne pouvait se faire en un tour de main ; l’auteur réalise là un vrai tour de force : raconter l’épopée (le mot n’est pas trop fort) du groupe à partir de la rencontre des deux musiciens créateurs - initiateurs, Wayne Shorter et Joe Zawinul.

Christophe Delbrouck - "Weather Report"
"Une histoire du jazz électrique" - Ed. Le mot et le reste - 2007

Le livre fort bien documenté en études, analyses, anecdotes révélatrices se décompose en trois parties : 1932-1971, 1971-1978, 1979–1986, découpées en chapitres, complétées par un épilogue et des annexes (discographie, filmographie, notes).

Tout, on apprend tout ; sur les deux musiciens principaux d’abord avec leurs portraits croisés (leur première rencontre chez Maynard Ferguson, leurs engagements respectifs chez Blakey ou Dinah Washington et les frères Adderley, les appels de Miles Davis à Wayne Shorter : quand tu seras prêt, fais-le moi savoir ; les séances de boxe du trompettiste avec Joe Zawinul pour tâter le terrain), les rencontres de passage : parfois, on ne se voyait pas pendant un an ; parfois, nous nous rencontrions dans un aéroport, une gare ; on se disait toujours : peut-être un jour, peut-être…(JZ), leur intégration dans le groupe de Miles et l’importance pour eux de In A Silent Way (composition de JZ), Bitches Brew, les disques sous leur patronyme (WS, Supernova pour les métissages ethniques, la progression des climats ou des sensations ; JZ, Zawinul, pour les alliages sonores et le choix des timbres) . Ce qui s’est passé, rapporte Miroslav Vitous, le premier contrebassiste du groupe, c’est que ces disques ainsi que Infinite Search (sous sa signature) annonçaient une voie majeure, une autre direction parmi les musiques nouvelles.

L’auteur raconte ensuite la genèse de W R, le choix des musiciens, les répétitions, les enregistrements, les disques, les tournées, les joies, difficultés, problèmes, discussions, départs, remplacements de personnel, déboires, doutes et interrogations, notamment au début des années 80… tout cela émaillé de citations (formidable travail de collectage aux sources diverses, références (révérences aussi notamment envers Laurent Goddet qui fut l’un des premiers -avec moi- à défendre le groupe en comité de rédaction de Jazz-Hot), appréciations, considérations, déclarations, affirmations, négations…

Chaque composition et chaque disque sont finement analysés, l’auteur ne cachant pas ses préférences (Sans l’expérience et la froideur de Wayne et de Joe, les cafouillages du début d’année -1975- n’auraient jamais pu engendrer une musique telle que celle qui figurera dans « Tale Spinnin’ » - l’un des plus beaux disques du groupe fomenté en toute hâte et avec des inconnus), argumentant ses propres opinions (Ce que Miles pressent alors dans le jeu de Wayne, personne ne le pressent encore, pas même le principal intéressé) ainsi que ceux des autres chroniqueurs (notamment les caractères, attitudes et comportements des musiciens…).

Dans ce livre conçu dans l’ordre chronologique, on suit avec un intérêt constant les péripéties et évolutions de ce groupe « électrogénial », à forte composante onirique et poétique, au son inimitable, ayant humé et respiré tous les parfums de l’air du temps, colorié toutes les cartes du bulletin… ce que l’auteur résume parfaitement : Weather Report est seul à magnifier l’héritage d’un jazz pluriethnique par une richesse et une inventivité plus autoritaire d’année en année.

Est-il nécessaire de vous recommander, non seulement de lire ce beau gros livre définitif (roman d’aventures personnelles et musicales), mais aussi d’écouter et réécouter tous ces albums indispensables dont les sillons n’ont pas pris une seule ride (si j’ose dire)… et c’est pourtant bien vrai.

P.S. – Christophe Delbrouck est par ailleurs l’auteur de livres sur Frank Zappa (3 volumes : Zappa par Zappa, Zappa et les Mères de l’Invention, Zappa et la dînette de chrome), Carlos Santana (La danse des solstices) et les Who au Castor Astral.


> WEATHER REPORT, Une histoire du Jazz électrique ; DELBROUCK Christophe ; Éditions LE MOT ET LE RESTE, Collection Formes - 2007


> Liens :