2009 : cinquantenaire de l’enregistrement de "Kind of Blue", un monument du jazz moderne qu’on doit à Miles Davis. Michel Delorme nous raconte l’histoire du trompettiste qu’il a bien connu...
On célèbre en cette année 2009 le cinquantenaire de l’enregistrement du plus grand disque de toute l’histoire du jazz :
KIND OF BLUE
L’année 1959 fut également marquée par des évènements moins réjouissants : la disparition de Lester Young, de Billie Holiday et de Sidney Bechet, le passage à tabac de Miles par la police devant le Birdland et... le monumental succès du Take five de Brubeck qui éclipsa tout le reste.
Durant 40 ans, de 1948 à 1988 pour prendre des repères, Miles Davis a toujours été en avance sur tout le monde d’environ une demi décennie.
À l’écoute, aux aguets, de la scène musicale et de la rue, il a été de toutes les évolutions et de toutes les révolutions, du be bop au hip hop, en passant par le free un peu ( la présence de John Coltrane au sein de son quartet et les folies du Plugged Nickel ), par le jazz-rock surtout.
Et il l’a par dessus tout été, de toutes ces révolutions, en s’entourant toujours des meilleurs jeunes musiciens des générations successives. Il a été leur catalyseur et s’en est nourri pour évoluer.
On définit du reste les Shorter, Hancock, Corea, McLaughlin, comme les « Enfants de Miles ». Jarrett est à part et il conviendrait d’y ajouter maintenant Kenny Garrett et Marcus Miller.
Et ce n’est pas de Miles compositeur que l’on se souviendra, il était de plus réputé pour "piquer" les thèmes à ses musiciens. Mais auraient-ils vu le jour sans les OREILLES de Miles - que dis-je, des radars - aux répétitions où à l’écoute immédiate de la cassette des concerts. Il déclarait du reste : « Je vous paye pour répéter sur scène » ! Il est l’exception à la règle qui veut que les plus grands musiciens soient les plus grands compositeurs.
Miles Davis a toujours eu 5 ans d’avance minimum sur l’histoire du jazz, qu’il a contribué à écrire pour une grande part. Comme en ce 4 septembre 1948 au Royal Roost de New York où il joue d’abord avec le quintet BE BOP de Charlie Parker, l’avant-garde la plus pointue de l’époque, puis avec son nonet « BIRTH OF THE COOL ». Il est déjà dans une autre avant garde. Nonet qui était en fait un tentet comprenant Lee Konitz, Gerry Mulligan et John Lewis. Peu de davisophiles même connaissent ce « détail de l’histoire » du jazz.
Il vient pour la première fois en France au sein du quintet de Tadd Dameron pour le Festival du Jazz de Paris à la Salle Pleyel en mai 1949. Le quintet de Parker était aussi de la fête et il y rencontre Juliette Gréco avec le bonheur que l’on sait. Et il joue divinement bien.
Un bœuf monumental l’associe à Parker, Byas et Bechet. Il subsiste 15 titres de ces concerts.
De retour aux States, il termine l’album Capitol « Birth of the cool », dont Gil Evans arrange Moondreams, joue avec Parker, Jay Jay Johnson, Sarah Vaughan, Stan Getz, Sonny Rollins, Jackie McLean, Al Cohn, Chet Baker, Horace Silver, Monk ( le fameux silence de The man I love). Monk m’en a parlé et ce n’est pas exactement ce que l’on en raconte.
De 1950 à 1954, Miles « dévisse ». Mais la drogue ne l’empêche pas d’enregistrer des faces sublimes pour Prestige et Blue Note, même si cette traversée du désert l’entraîne loin de la notoriété des spotlights.
En 1955, il renaît grâce au début de sa collaboration avec John Coltrane. C’est le
premier grand quintet : MILES, COLTRANE, RED GARLAND, CHAMBERS, PHILLY JOE JONES.
S’ensuit une longue série d’ enregistrements pour Columbia et Prestige.
1956 le conduira de nouveau en Europe au sein du « Birdland tour » où il joue avec René Urtreger, Pierre Michelot et Kenny Clarke. Il interprète quelques titres avec Lester Young, dont un Lady be good unique dans les annales du jazz : il y fait le break pour Lester !
Il renoue avec Gil Evans en 57. C’est « Miles ahead », 1er album entièrement arrangé par Gil.
Suivront « Porgy and Bess », « Sketches of Spain » et « Quiet nights ». Des disques dont la beauté fera plus à l’époque pour la renommée du trompettiste que ceux du quintet. Il confirme la dualité entreprise en 1948.
Il congédie "brutalement" Coltrane ( il est aussi boxeur ! ) qui se droguait et le remplace par Sonny Rollins. Il y aura bien une période où les 2 saxophonistes seront ensemble dans la formation et il se raconte que Miles les excitait l’un l’autre . Vite, des bandes !!!!!
Il revient en France - ça devient une habitude - pour enregistrer avec les frenchies de 56, plus le déjà génial Barney Wilen, la musique du film « Ascenseur pour l’échafaud ». Il en profite pour donner 2 concerts dont un Olympia magnifique où Barney et René rivalisent d’invention.
(les périodes se chevauchent)
1958 marquera le retour de John Coltrane, d’abord associé à Cannonball Adderley pour un sextet de rêve qui mettra le feu au festival de Newport et enregistrera l’année suivante sous l’impulsion ( pour ne pas dire plus ) du pianiste Bill Evans le mythique.
KIND OF BLUE – 1959
Cannonball n’a jamais mieux joué, notamment dans Flamenco sketches, où il prend un solo miraculeux. Quant à Trane, son envolée dans le So what du Robert Herridge Theatre -tout le monde connaît la vidéo – est proprement ahurissante. Juste après le très beau Milestones, excusez du peu.
C’est en août que Miles reçoit son « cadeau » de la police new-yorkaise.
Pour la 4ème fois, il est en Europe. 1960 le voit accomplir une tournée marathon en 2 parties, avec cette fois Wynton Kelly et Jimmy Cobb. En mars, les spectateurs de l’Olympia se souviendront longtemps des solos interminables de Coltrane pendant que Davis disparaissait en coulisses, on se demande bien pourquoi ! Jusqu’à plus de 6 minutes, une éternité pour l’époque. On sait ce qu’il en adviendra 5 ans plus tard au Half Note ! Quand Coltrane déclara à son boss qu’il ne savait pas comment s’arrêter, celui-ci lui répondit : « Enlève l’anche de ta bouche » ! Les heureux veinards présents ce soir-là se souviendront aussi de ses chapelets de doubles croches systématiques et de ses harmoniques - plusieurs notes jouées en même temps - c’est Monk qui l’ avait poussé à faire ça. Le public hurle, et bizarrement le plus véhémentement quand le pauvre se hasarde à quelques citation sur Bye bye blackbird, une rareté chez lui comme chez Miles.
C’est alors que Coltrane quitte le groupe pour former le sien.
Miles va alors "user" pas moins de 4 saxophonistes avant l’arrivée de Shorter : Sonny Stitt, Hank Mobley, George Coleman et Sam Rivers.
La tournée de 1963 est d’autant plus "frappante" que le jeune tambour, qui en valait bien trois, n’était autre que Tony Williams. Les spectateurs des TROIS concerts de Juan en sont restés bouche bée. Miles aussi du reste, qui passa son temps dans la batterie, manifestement aux anges. En tournant le dos au public bien sûr. Mais avez -vous déjà vu Karajan faire face au public pour diriger l’orchestre ?
C’est de là que l’inabordable (?) ténébreux me prendra à la bonne. Même si, quand je lui demande s’il veut écouter des inédits où il joue avec Parker, il lance un cinglant « NO, I never go back ». Cela s’est passé dans des circonstances fortuites que je raconterai une autre fois.
On a dit pis que pendre de Miles, l’homme, mais je peux vous assurer que, le premier contact passé avec succès, son amitié était sincère et durable. Elle ne cessera pour moi qu’en 1991.
Et il n’était pas raciste non plus. Simplement il n’aimait pas trop qu’on l’aborde juste parce qu’il était célèbre en lui disant : « Vous savez Mr Davis, je ne suis pas raciste, mon meilleur copain à l’école était noir ». Et Miles de répondre : « Vous le voyez toujours ? ».
En octobre 1964, alors que je le conduisais de son hôtel jusqu’à la Salle Pleyel et que nous longions les beaux immeubles du quartier, il dit : « Tu vois, ces pierres dureront plus que nous »...
Quand j’y repense, j’aurais dû faire dédicacer mes bagnoles : Miles, Trane, Monk, Rollins, Blakey, Chet, et tant d’autres !!!
2ème grand quintet : MILES, SHORTER, HANCOCK, RON CARTER, TONY WILLIAMS
1965 sera une année exceptionnelle, avec le premier grand enregistrement en studio de ce nouveau quintet : « ESP » ( janvier), et l’engagement au Plugged Nickel de décembre. Pour tous les musiciens, c’est dans les sets de ce club que Shorter tutoya des sommets.
Le second disque, « Miles smiles », voit le jour en 1966 et contient Footprints, l’étendard de Wayne. Son Parker’s mood, son Round midnight, son Love supreme. Et il commence sa carrière de plus grand compositeur de l’histoire du jazz, avec Duke, Bird, Thelonious, Trane, Joe Z, Abdullah, pardon si j’en oublie. Miles en profite grandement.
1967 est aussi un très grand cru, quel concert à Anvers ! Et le premier clin d’œil à l’électricité avec l’adjonction d’un guitariste en la personne de Joe Beck. Et voici Nefertiti dont la composition titre est un autre chef d’oeuvre de Shorter, avec Sanctuary sorti sur « Circle in the round ».
1968 verra même une collaboration avec George Benson et surtout la création du
3ème grand quintet : MILES, SHORTER, COREA, HOLLAND, DEJOHNETTE
Fin d’année cruciale car il va enregistrer Directions de Zawinul avec celui-ci aux claviers, en plus de Corea et Hancock ! Dès lors il doublera ou triplera certains instruments.
En 1969, Zawinul lui offre In a silent way, le premier hymne de la nouvelle ère de la musique contemporaine - de jazz éventuellement - et tant qu’on y était Miles réplique avec Bitches brew. Deux vents, 4 claviers, une guitare, 2 basses et 4 percussions ! Et quelle guitare, celle du grand John McLaughlin, comme dans Silent way. On peut dire qu’il arrive au bon moment et que Mr Miles a eu le nez creux. Comme toujours.
Entre temps, le quintet de base aura estourbi Juan-les-Pins. Imaginez : les musiciens arrivent sur scène en ordre dispersé et sans qu’il y ait le moindre signe, il nous tombe sur la tête une intro sous forme de déluge de batterie et l’on reprend nos esprits alors que l’on est déjà dans le solo du chef.
Qu’ont-ils joué ? On saura à la fin que c’était Directions ! Écoutez seulement le disque et vous aurez une idée, faible, de ce qui nous est arrivé.
Il y a aussi la fameuse anecdote avec Grappelli à Newport que nous a rapportée le bon Henri Texier, témoin de le scène . Miles, pourtant avare de compliments, félicite Stéphane qui lui répond : « Merci ... Vous êtes musicien vous-même ? ».
Mars 1970, Wayne Shorter quitte Miles. On sait quel groupe phare il allait fonder avec Joe Zawinul. En mai, Keith Jarrett accepte de jouer du piano électrique et fait ses classes chez le Maître où il retrouve DeJohnette, son copain des années Lloyd. Ils sont encore ensemble aujourd’hui.
On commence à entendre des instrument de l’Inde, les sax sont Steve Grossman et Gary Bartz.
Au mois d’août, Davis, Bartz, Corea, Jarrett, Holland, DeJohnette et Airto Moreira sont à Tanglewood au même programme que Santana. Miles m’invite chez lui et nous partons pour le concert. Après avoir cherché avec Keith s’il y avait des herbes rares dans la prairie du campus, nous avons écouté Carlos, tout frais de Woodstock. C’est lui qui avait le gig mais quand Bill Graham lui a demandé qui il voulait en 1ère partie, il a répondu "Miles Davis" mais a exigé que celui-ci soit tête d’affiche. Plus tard, Carlos Santana me fera cadeau d’un film des 2 prestations.
Miles emmènera le même groupe le même mois au concert mythique de l’île de Wight.
On retrouve la musique de l’époque dans le double « Live – Evil ».
Le changement radical de 1970 se traduit aussi par une nouvelle « attitude » vestimentaire, qui devient elle aussi plus rock. La rue, toujours et aussi peut-être la certitude que sa musique mérite mieux que celle des rockers.
En 1971, Mike Henderson à la basse électrique remplace Holland et Leon Chandler DeJohnette. Mtume et Don Alias intègrent l’ orchestre.
Dès 1972, les saxophonistes seront Dave Liebman et/ou le trop méconnu Carlos Garnett.
Les instruments hindous font leur retour. C’est « On the corner » et « Big fun ».
Pas de concerts out of the U.S.
En 1973 la musique deviendra définitivement très funk. Comme à ce concert du Palais des Sports de Paris en novembre. Si j’ai bonne mémoire, il y avait ensuite une représentation de cirque et les animaux étaient parqués dans les environs. Les rugissements des fauves ajoutaient un certain piment à la musique !
Al Foster sera le batteur principal de la fin du règne d’avant la grande pause.
Toujours en novembre, à Barcelone, Miles joue un solo avec l’orchestre de B.B. King. La longue présentation du trompettiste par le bluesman est un morceau d’anthologie : « S’il n’y en avait des comme lui, jazz wouldn’t be what it is »...
C’est en mars 1974 que le jeune français Dominique Gaumont rejoint Cosey et Lucas aux guitares du groupe. Avant une fin tragique. Nouveau changement de saxophoniste, Liebman "out", Sonny Fortune "in". Albums « Dark magus » et « Get up with it ». Pas de tournée européenne, bizarre.
Pas non plus en 1975, mais un ramonage en règle du Japon d’où sortiront les incroyables « Agharta » et « Pangaea ». Les nippons avaient toujours le chic pour sortir en exclusivité des LPs avec des pochettes sublimes, comme aussi ces 2 Herbie Hancock.
La fêlure devient fracture en 1976. L’orgue commence à remplacer la trompette. Aucune tournée où que ce soit.
Miles « dévisse » à nouveau, drogue, retraite jusqu’en 1981. Fermez le ban.
OUT OF ORDER
Une exception cependant en 1978 lorsqu’il se rend dans le Connecticut chez Larry et Julie Coryell et joue du piano avec le guitariste. En mars, ils se retrouvent en studio pour une séance qui reste malheureusement inédite. Je connais un seul titre, impressionnant : Miles Davis (orgue), Larry Coryell (g), Masabumi Kikuchi, George Paulis (keyb), T.M. Stevens (elb), Al Foster (drms), Bobby Scott (Horn charts). Si on ne retrouve rien d’autre, pourquoi ne pas le publier encadré par la dernière prestation de 76 et la première après son retour, une séance studio inédite du 1er mai 80.
THE BIG COME BACK
En juin 1981, Davis recommence à enregistrer et les noms de Bill Evans, Mike Stern, Marcus Miller, Mino Cinelu apparaissent. Album « The man with the horn ». Il fait le boeuf Au Village Vanguard avec le big band de Mel Lewis, dont le bassiste, Mark Johnson, a la bonne idée d’enregistrer la chose.
Dès lors Miles ne joue plus de la trompette mais de "l’orchestre", qu’il décore de phrases courtes. Et quand il entame une ballade, avec le son miraculeux de sa sourdine Harmon, il lui arrive parfois de canarder. So what ?
Première tournée européenne de la nouvelle formation en mai 1982. Avec ces 2 concerts inouïs au Théâtre du Châtelet - les places s’arrachaient au "Black market" à des prix astronomiques.
Lors du 2eme, une panne de courant vint occire la sono de certains instruments. Qu’à cela n’Étienne, Marcus Miller empoigna le ténor de Bill Evans pour jouer la ligne de basse sur la fin de « Fat time » et « Jean-Pierre » !
Dans l’ascenseur, Mino Cinelu me confiait que ce "Jean-Pierre" était pour un fils qu’il aurait eu avec une française. Miles n’était décidément pas qu’un grand joueur de trompette ! On entend du reste une citation de cette berceuse, « Dodo, l’enfant do », dans un solo live des années 60.
En novembre, il intègre un 2ème guitariste : John Scofield. Qui ne jouera jamais mieux.
En 1983, Darryl Jones remplace Tom Barney qui avait lui-même remplacé Miller, exit Mike Stern. Miles me confia que ce dernier et Bill Evans regardaient un peu trop les filles du 1er rang au lieu de se concentrer sur la musique ! Les synthés entrent en piste avec Robert Irving III. Album « Star people ».
En 1984, enregistrement de « Decoy » et des fameux Time after time de Cyndi
Lauper et Human nature de Michael Jackson. Ils sortiront sur le magnifique album
« You’re under arrest » de 85. Je l’ai dit en préambule, Miles écoutait la scène, les médias et la rue. Il me raconta même avoir l’intention de revisiter Comme un ouragan de qui vous savez. Et comme il écoutait tout, de "se faire" La Tosca de Puccini.
C’est Wayne Shorter qui me confiait cela un jour à Porto, lors d’un contact en vue du tournage du documentaire pour Arte. Il s’ensuivit une jolie anecdote.
On sait que, plus tard, Miles fera des apparitions sur des albums de Pop stars illustres. Encore 5 minutes et il jouait avec les Stones, comme Rollins et Shorter !
À noter que Gil Evans, pas chien, arrange les séances de studio. En panne de saxophoniste depuis novembre 83, Miles engage Bob Berg. Un peu plus tard, il ne sera pas tendre avec lui lors une conférence de presse au Radisson de Nice.
C’est en 1985 à Copenhague qu’il mettra « Aura » dans la boite. Pas de quoi fouetter un danois. Vincent Wilburn Jr remplace Al Foster (merci Tonton Davis), Mike Stern revient. Puis Angus Thomas prend la chaire de basse électrique tandis qu’Adam Holzman ajoute ses synthés à ceux de Bobby Irving. Marilyn Mazur se joint à Steve Thornton aux percus. Encore et encore les chaises musicales, c’est le cas de le dire.
Dans l’album « You’re under arrest », le titre "Ms Morrisine" ressemble furieusement à une chanson du disque de Richard Berry. Tiens tiens...
C’est aussi l’année où commence une longue histoire d’amour avec le Jardin des Arènes de Cimiez à Nice. Simone Ginibre, merci pour tout.
En 1986, il est même programmé pour 6 concerts ! Je fais l’impasse sur le premier, le 10 juillet, pour aller enregistrer - pardon, écouter – le groupe ERE : Bireli Lagrene, Courtney Pine, Jack Bruce et Ginger Baker. Et surprise, quand j’arrive au Jardin après le set des jazzrockeux, j’apprends que Miles n’a pas pu jouer car le matos n’était pas arrivé ... L’intuition ? Non, bordé je vous dis !
Il enregistre un titre avec Prince Can I play with you, dont une cassette sauvage jettera l’émoi jusque sur la Canebière ! Il existe un concert filmé à Paisley Park, superbe.
On sait qu’il aurait tout fait pour jouer avec Jimi Hendrix. C’est John McLaughlin qui aura ce privilège. Les copies privées qui circulent sont incroyables.
Et voici qu’arrive l’album phare de la période post 80, j’ai nommé l’immense album
Avec le retour de Marcus Miller aux affaires. Marcus est à « Tutu » ce que Bill Evans fut à « Kind of blue ». « Amandla » de 89 ne sera qu’une pâle resucée.
Mais en tournée, c’est Felton Crews qui tiendra la basse avant de céder la place en octobre à Darryl Jones, de retour.
Le saxophoniste Kenny Garrett arrive en février 1987. Il aurait bien mérité d’être sur « Tutu », le disque, tant il le sublimera longtemps en concert. Après une période un peu trop "démonstrative", il est aujourd’hui LE sax , le nouveau Cannonball Adderley.
Les changements continuent de plus belle. Hiram Bullock, Bobby Broom, Foley McCreary ( g ), Ricky Wellman ( dms ), Gary Thomas ( sax ténor ) en plus de Garrett, Rudy Bird ( perc) qui remplace Mino Cinelu.
Le 14 juillet, je m’en souviendrai toujours, il attend l’embarquement dans le hall de l’aéroport de Nice et regarde passer les filles, comme Coutin. Et il nous sort : « C’est bien l’été, les femmes s’habillent tellement court that you don’t need to get home to see their ass » !!!
C’est à peu près à cette période que je l’entendrai dire "My ding" à tout bout de champ. Je le questionne, il s’agit de l’abréviation de "my digeling" utilisée par les Jamaïcains et que je traduirai pudiquement par "Ma zette", en deux mots !
L’équivalent de ce que titrait jadis Jef Gilson : « Et Monk ? ».
L’année se termine, 31 décembre oblige, par le concert avec Prince à Minneapolis cité plus haut.
Miramas, France, 16 février 1988. On ne sait par quel miracle un enregistrement de qualité pro voit le jour. C’est là qu’à un détour de coulisses, je mesure combien Kenny Garrett est aussi un grand pianiste. J’avais fait la même constatation avec DeJohnette en 66 à Juan lors d’un boeuf mémorable dans l’arrière-cour du Pam Pam, avec Eddy Louiss... à la trompette - magnifique - Jean-Luc Ponty et Daniel Humair, notamment. Heureuse époque !
Retour aux Etats-Unis, un nouveau bassiste est engagé : Benny Rietveld. Il ne quittera le band que pour rejoindre Santana, où il était encore aux dernières nouvelles. Carlos a toujours été un fan inconditionnel de Miles, comme de John Coltrane et de Wayne Shorter. Aussi a-t-il toujours voulu jouer avec eux, sauf évidemment Trane, ou avec leurs sidemen. Il existe un concert de 86 où il apparaît avec Miles sur le titre Burn et croise le médiator avec Robben Ford, alors guitariste chez le trompettiste depuis avril ! Burn, dites-vous ? !
En 88, Carlos s’offre Wayne Shorter pour une tournée européenne fabuleuse. Les concerts de Nice et de Salon de Provence furent encore meilleurs que celui de Montreux, le seul a avoir été publié. Il aurait souhaité faire la même chose avec Pharoah Sanders mais celui-ci voulait être Vizir à la place du Vizir, côté dollars. Il y a cependant deux concerts où le disciple de Coltrane joue avec le guitar hero.
Pour la 1ère tournée 1989, il y en aura 3, le ténor de Rick Margitza remplace l’alto de Garrett.
Lequel revient en août pour ne plus jamais quitter le groupe.
Est-ce vers cette période qu’il s’intéresse au Zouk ? Je ne sais pas mais le fait est là.
1990 trouve Miles Davis occupé, hors tournées évidemment, à faire l’acteur qui joue son propre rôle dans un film particulièrement inepte : Dingo. Que sont-ils allés faire dans cette galère, lui et Bernadette Laffont. Et que n’a-t-il connu notre actrice du temps où elle tourna « L’eau à la bouche » de Doniol-Valcroze. Je ne sais, de Bernadette ou de la chanson de Gainsbourg, ce qui était le plus bandant !
Côté musicos, Richard Patterson remplace Rietveld et Erin Davis ( merci papa ) tient les percussions.
C’est finalement ( sic ) en janvier 1991 que le visionnaire du jazz moderne, qui changea tant de fois la face de son l’histoire, enregistre l’album posthume « Doo – Bop » avec des rappeurs, dont Ezay Mo B.
À la suite de nouvelles tournées européennes, il se produit en juillet dans deux concerts passéistes . J’utilise le mot car il avait toujours juré de ne pas revenir en arrière.
Le 1er à Montreux sous la houlette De Quincy Jones avec le George Gruntz Concert Band.
Y sont repris les arrangements de Gil Evans pour « Birth of the cool », « Miles ahead », « Porgy and Bess » et « Sketches of Spain ». Mais bien forcément Wallace Roney doit « doubler » Miles.
Le 2ème deux jours plus tard à la Grande Halle de la Villette où est réunie la fine fleur, du moins ce qu’il en reste, des formations davisiennes à travers les âges : les siroteurs d’anches Jackie McLean, Wayne Shorter, Steve Grossman, Bill Evans, les gratteurs de cordes John McLaughlin, John Scofield, les pétrisseurs de claviers Herbie Hancock, Chick Corea, Joe Zawinul ( Jarrett avait égaré son invitation ), les slappeurs de gros violon Dave Holland, Darryl Jones, et le tambour major Al Foster.
La formation en cours de Miles comprenait : Garrett, Foley, Deron Johnson, Richard Patterson, Ricky Wellman.
Tout l’après midi eût lieu dans les coulisses, en plus des balances/répétitions, ce que j’avais baptisé « Le Yalta » de Miles. Il discuta tour à tour avec tous les musiciens pour savoir qui jouerait quoi et avec qui. J’ai eu copie du bout de film amateur -très – que Foley tourna et il faut que je cambriole Bill Evans pour lui piquer le sien.
Et tout le monde joua avec tout le monde, ou presque. Il y eût bien quelques problèmes de batterie quand il apparut que Ricky Wellman ne pouvait décemment assurer le hard bop et le modal ! Al Foster s’y colla donc mais il aurait bien aimé toucher une part du cachet de Ricky...
Rebelote pour le bouquet final sur Jean-Pierre, McLean, Shorter, Hancock et Zawinul resteront dans les coulisses !
Quand je repense à ce qu’il m’avait dit en 63 à Juan, je ne peux m’empêcher de trouver rétrospectivement un peu triste le Watermelon man qu’il nous donna ce soir là.
Ou comme le laboureur... Voulut-il réunir ses enfants et faire cadeau de son passé à tous ceux qui lui réclamaient toujours les plus belles fleurs de son jardin musical.
Il donnera son dernier concert le 24 août 1991 au Concord Pavillion, Concord, Californie.
THE END OF A LOVE AFFAIR