Nice, Vienne, Porquerolles, Antibes et La Seyne sur Mer...

  Nice – 8 juillet

Agréable surprise, on a retrouvé Place Masséna un peu de l’esprit de Cimiez. Le public peut circuler librement de la scène du Théâtre de Verdure à la scène Masséna et trouve sur le chemin quelques stands de restauration, dont l’inévitable barbe à papa. Même similitude, comme au jardin, il faut rester debout devant la scène Masséna. Ce n’était pas forcément l’exemple à suivre. Mais Cimiez n’est plus, paix à ses cendres, et le pari du centre ville est réussi au delà de toutes les espérances.
Records d’affluence battus, programme éclectique de choix concocté par Harry Lapp, malgré une attribution tardive. Organisation sans faille de l’accueil des journalistes et des photographes, avec une convivialité rare orchestrée par la douce Frédérica. Un dîner nous fut même servi, ce qu’aucun autre festival ne sait faire. Ce n’est pas une obligation, c’est juste un plus, et on n’en aura pas trouvé les concerts meilleurs pour ça, je l’espère. Mais bravo, 20/20.

Wayne Shorter
© Arlette Delorme - juillet 2011

Côté musique justement, j’ai adoré la concentration de talents du premier soir. Très agréable mise en bouche par un combo national au sein duquel j’ai surtout apprécié l’excellent batteur Julien Charlet, à mon avis le meilleur avec Jean-Pierre Arnaud. Puis déferlement d’enthousiasme musical avec Mike Stern et Didier Lockwood. Les craintes que j’avais émises au sujet de notre violoniste dans mes annonces des festivals (voir Itinéraire d’un jazz fan gâté 2011) furent vite balayées.
Il se fit violence, sans avoir apparemment à trop se forcer, et agressa son instrument pour dialoguer avec le guitariste. Guitariste de légende, au sein de la formation de Miles Davis pendant de nombreuses années d’abord, dans celle de Jaco Pastorius ensuite. Allez Didier, oublie Grappelli et joue toujours comme ça ! Il fallait être présent pour voir, et entendre, la complicité entre ces deux artistes et avec quelle joie de gamin ils jouaient. Un grand moment.

Puis ce fut au tour de John McLaughlin d’occuper l’espace. Le guitariste le plus rapide à l’ouest du Pecos, celui qui joue plus vite que son ombre, nous submergea de ses vagues électriques.
Je ne dirai pas tsunami sonore par crainte de mauvais goût mais c’était à peu près ça.
Certains commencent justement à reprocher à McLaughlin d’abuser des chapelets de doubles croches et de faire étalage de sa virtuosité technique. Qu’ils écoutent seulement le lyrisme enflammé dont il fait preuve sur tempo lent. Tout Charlie Parker, quoi, qui jouait aussi vite et aussi lyrique.

Marcus Miller, juillet 2011
© Arlette Delorme

  11 et 12 juillet - Vienne.

Je vous avais recommandé ces deux jours, pour Sonny Rollins et Wayne Shorter/Herbie Hancock/Marcus Miller. Personne ne fut déçu, semble-t-il.

Certes, Sonny a de plus en plus de mal à marcher et semble vaciller à tout moment. Heureusement, l’assise est solide ! Certes, le sax ne monte plus aussi haut vers le ciel. Certes, certains titres tournaient un peu en rond. Mais le bonhomme est toujours là et joue comme si c’était le dernier soir.
Il fallait le voir à la fin du concert sautiller de joie comme un gamin. Chapeau Mister Sonny.

Le concert en hommage à Miles Davis du lendemain, 20 ans déjà, fut une belle et bonne surprise.
Après le set de John Scofield, les trois transfuges, eux aussi, de la Davis Incorpotated, nous gratifièrent d’un concert merveilleusement surprenant. Ils auraient pu se contenter de nous servir un medley banal, comme si ce terme pouvait s’appliquer à de tels musiciens, mais au lieu de cela les thèmes légendaires étaient orchestrés de plume de maître (Miller ?) et joués de façon très originale, c’est à dire en improvisation "semi collective", avec un léger décalage entre les voix (Shorter ?).
Il y eut bien quelques moments de flottement, comme si la musique s’effilochait, mais l’exercice était périlleux. (Liste des titres sur demande contre enveloppe timbrée !!!)

Comme c’est maintenant une tradition, la programmation d’ensemble était colossale, kif kif Rollins.
Songez, Chick Corea Return to Forever, Mike Stern/Didier Lockwood, Robert Randolph, Cyndi Lauper, Bitches Brew Beyond, Hiromi, Dave Holland, etc......

  9 et 10 juillet – Porquerolles.

Retour au sud pour la 10eme édition de Jazz à Porquerolles, cette autre île de beauté. Beauté du cadre enchanteur, du Fort Sainte Agathe ( qui se mérite, tant la montée est raide ), de l’organisation et de la programmation ( Frank Cassenti et Samuel Thiébaut ). Cette année encore, les parrains Aldo Romano et Archie Shepp répondaient présent. Mais la grande unité de ce juillet était dans la volonté de la diversité d’origine africaine. Maroc avec Archie et les Gnawas, Afrique profonde avec les photos de Guy Le Querrec et RST ( Romano/Sclavis/Texier ), Antilles avec Mario Canonge et Alain Jean-Marie, Cuba avec Archie et Chucho Valdés. Enfin, le sublime 4 étoiles de Charles Lloyd ne déparait pas.

Francesco Bearzatti était à l’origine prévu le premier soir mais nous eûmes droit en remplacement à un bon sextet varois dont le leader Olivier Chaussade, bien qu’excellent, n’était pas coltranien comme on l’a lu partout. Déjà, il joue de l’alto ! Puis Stefano Bollani improvisa sur le film de Buster Keaton Le Mécano de la Général ( sans e, pour les ignares ! ). On rit beaucoup mais on écouta peu.
Si j’étais méchant, je dirais : «  si j’aurais su, j’aurais pas v’nu  ».

Aldo Romano se présenta d’abord en trio, Danilo Rea au piano et Rosario Bonaccorso à la basse. Superbe, avec les compositions magnifiques du leader, en particulier une perle, Positano. Brillant pianiste que Rea, avec un poil trop de citations peut-être. Aldo avait la banane jusqu’aux oreilles.
Puis sur des photos de GLQ ( pas client du Sofitel, je vous jure ), ce fut RST. Comme Sclavis et Texier sont aussi des compositeurs hors-pair, ce fut un régal. Et ce coup-ci, on pouvait regarder les photos invraisemblables de Guy (Root africaine) en entendant la musique. Mais pourquoi tu faisais la gueule, Aldo ?
Tu n’aimes pas les Bretons et les Lyonnais, le chou et la rosette ?

  15,16 et 19 juillet – Antibes - Juan les Pins.

Bitches Brew Beyond. Presque tous transfuges de la maison Davis, les membres du groupe proposèrent une relecture de la période électro-funk. Ce fut très réussi, encore que Wallace Roney est le parfait clone de Miles et qu’il est bien difficile d’écouter cette musique sans entendre la version originale. Mais ce fut un régal de retrouver Buster Williams et surtout l’immense batteur Al Foster.

Tribute to Miles avec le groupe co-dirigé par Wayne Shorter/Herbie Hancock/Marcus Miller clôtura la soirée. Un véritable triomphe. Plus homogène qu’à Vienne, avec quelques concerts de plus dans la musette il est vrai, les trois musiciens rivalisèrent de créativité. Wayne me confirmait du reste qu’il aurait peut-être été préférable de mieux séparer les solos au début.
Il nous gratifia de ses habituelles envolées foudroyantes avec ce son inimitable et se livra à quelques citations facétieuses. Il démarra très fort sur Walkin’ en jouant un solo ne comportant que les accords, sans aucune ligne mélodique. Mais c’est Herbie qui enterra tout le monde. Il improvisa sur Directions, par exemple, un solo ahurissant de furia et d’invention mélodique. Le trompettiste de service assura bien sans tomber dans le plagiat et le reste de la formation fut à la hauteur.

Keith Jarrett est toujours aussi brillant et le choix de son répertoire exemplaire. Mais que l’on aimerait qu’une fois, juste une fois, il nous rejoue ses sublimes compositions du début des années 70. Je pense par exemple à In a quiet place, qui figure sur l’album avec Gary Burton. Il avait en outre à l’époque un style bien particulier, un mélange de jazz, d’hymnes religieux et de folk. Il a même enregistré deux titres de Dylan, My back pages et Lay lady lay, ce dernier publié uniquement en face B du 45 tours.

Cindy Blackman, Carlos Santana, Hal Miller.
Photo X

L’évènement Santana.
Après deux concerts à Monaco et un à Nîmes, on avait beaucoup craint pour
celui de la Pinède Gould. En effet, il était tombé des cordes tout l’après midi. Heureusement, le soleil revint au bon moment. Mais la pluie s’était accumulée sur le toit de toile et à cause d’un vent très violent, elle se déversa sur scène par vagues au milieu des musiciens, rejoints un moment par une armée de serpillères et de balais. Ce qui ajouta une dimension apocalyptique à un concert déjà dantesque. Dantesque comme le morceau qui suivit une brève intro éthérée, au titre qui montre combien Carlos aime le jazz : Sun Ra. (Attention, Mr Contat, Spark of the divine n’est pas un morceau de Sun Ra mais l’intro dont je parle, suivie du morceau Sun Ra. Par ailleurs le terme afrocubaneries n’est pas très gentil et surtout impropre. La musique de Santana est latino).
Imaginez une improvisation collective free fond la caisse sur laquelle il trouva le moyen de superposer Stella by starlight, peut-être en hommage à Miles qui le joua sur cette même scène en 63. Aknowledgement et Resolution de la suite A Love Supreme, pourquoi pas pour la mémoire du John Coltrane de la mythique Pinède en 65. Il y a même eu des concerts où il jouait des morceaux d’Albert Ayler ! Son entourage m’a par ailleurs rapporté qu’il m’avait dédié Dear Lord.
Excusez du peu ! Il est vrai que nous sommes amis depuis 1970.

  28 et 29 juillet – La Seyne sur Mer

Billy Harper, Cecil McBee - Juillet 2011
© Arlette Delorme

The Cookers – À savoir un all-stars de rêve dirigé par l’obscur trompettiste David Weiss et comprenant un autre trompettiste, Eddie Henderson, Billy Harper - ts-, Kirk Lightsey –p-, Cecil McBee -b-, Billy Hart –dms-.
La musique était évidemment hard-bop avec des thèmes, insipides, aux arrangements chiadés.
Les solistes, notamment Harper qui mit un peu le bazar (!) avec des incursions free, Henderson et McBee furent magnifiques. Lightsey déçut un peu mais à sa décharge il semblait mal sonorisé. Ce qui fit d’autant plus regretter l’absence de Geri Allen, initialement prévue. En gros, j’ai adoré les musiciens, la musique un peu moins.

Cecil McBee, juillet 2011.
© Arlette Delorme

Eric Vloeimans/Turr Florizoone respectivement trompettiste et accordéoniste. Nous arrivant de Belgique et de Hollande, ce duo fut divinement incongru. Turr utilise son accordéon comme un clavier, sans les bretelles, et en tire un son d’une rare élégance. Bien loin de la norme établie par un Galliano, pour ne citer que lui. Avec la même différence qu’il y a entre l’accent de la City à Londres
et celui de Dallas, Texas. Et lorsque le trompettiste jouait dans les graves et pianissimo, sonnant quelquefois comme une flute ténor (?), il y avait des unissons soyeux de toute beauté. Par contre, lorsqu’il jouait à pleins poumons, cela devenait scabreux. On avait alors droit à un clone de Nino Rota. Mais la musique qu’ils nous donnèrent à entendre ce soir-là fut plus que globalement belle.

Circum Navigation – Sous la direction du bassiste Christian Brazier, avec Perrine Mansuy au piano, Christophe Leloil à la trompette et Cédric Bec à la batterie. Il y a quelques années sur cette même scène, Christian Brazier m’avait scotché avec un excellent groupe et une excellente musique. Il y a deux ans, même chose pour Perrine Mansuy. Elle a tout, le toucher (délicat ou percutant), le sens de la mélodie, l’improvisation limpide, le swing, la maîtrise rythmique. Et en ce 29 juillet, les deux artistes me prouvèrent que j’avais eu raison de me déplacer. Christian Brazier possède un beau son chantant et articule parfaitement des solos inspirés. J’entendis quelqu’un dire que cela manquait par moments un peu de flamme ( un comble ! ).

Pour résumer cet été jazz, j’ai assisté à de très bons concerts en général, tous parmi ceux que j’avais recommandés. Étonnant, non ?

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