Où l’on achève notre périple clunisois avec les regrets de celui qui doit maintenant attendre un an avant de retrouver ce festival hors norme.
CLAUDIA SOLAL Spoonbox
Claudia Solal, voix
Benjamin Moussay, Piano, Rhodes, Keyboards
Jean Charles Richard, saxophones
Joe Quitzke, batterie
> Cluny, vendredi 26 août 2011
La Spoonbox de Claudia Solal n’a rien à voir avec la boite de Pandore. D’ailleurs quand elle l’ouvre, il n’en sort que des mots. Des mots doux, des mots d’elle, des mots cris, des monèmes, des mots graphiques qui accouchent d’autres mots, des mots qui tentent d’éloigner d’autres maux par la grâce colorée d’un univers personnel emmanché dans une esthétique littéraire anglo-saxonne. Modeler des surprises de mots quête sans mots râle (mais avec soupir), tel est donc le parti pris de l’artiste avant d’entrer en cène pour un festin léger en petit comité.
D’ailleurs, à quatre, les apôtres sont plutôt conviviaux. Ils se connaissent mais sont encore capables de co-naître à la spontanéité de verbe, de rebondir de Charybde en syllabes, bref de cueillir à la lettre l’avis de passage du facteur d’émaux gourmands quand il mitonne ses effets langagiers à la sauce fantaisie. Mais sans fond de sauce, il est ardu de donner un visage à la bonne chère. Et c’est tout l’art de ce quartet que de donner à l’acidulé l’épaisseur d’un vécu long en bouche, non dénué, ici et là, d’une douce mélancolie. Avec la chaleur des timbres, avec des ambiances articulées autour du contraste et de la vivacité, avec la poésie qu’elle exhale d’un imaginaire fécond, cette boite à cuillères demeure en mémoire comme un de ces objets fétiches dont on se souvient avec plaisir.
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JEAN PHILIPPE VIRET Trio
Jean Philippe Viret, contrebasse
Edouard Ferlet, piano
Fabrice Moreau, batterie
> Cluny, samedi 27 août 2011
Voilà un de ces trios français un peu trop ignoré à notre goût. Certes il est reconnu des aficionados du jazz, mais il doit, à l’instar d’un Guillaume de Chassy, subir l’ignorance du plus grand nombre. C’est d’autant plus dommage qu’il propose une musique aux contours d’une rare subtilité. Tout s’articule autour d’une finesse et d’une complexité qui paraissent d’une simplicité angélique. On entend souvent dire que c’est tout l’art des grands musiciens que de rendre évident l’inaccoutumé, le surprenant, l’envoûtant et le sensible. Nous en venons donc à penser que Jean Philippe Viret appartient à cette catégorie. Dans un registre original, il fait déambuler son propos musical sans l’ombre d’un doute vers des confins où naviguent sans fard des lignes mélodiques au long cours. A l’écoute, cela semble si compréhensible, si évident, qu’on se demande encore par quelle sorcellerie il obtient une telle unité. Chapeau bas.
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ENRICO RAVA Tribe
Enrico Rava, trompette
Gianluca Petrella, trombone
Giovanni Guidi, piano
Gabriele Evangelista, contrebasse
Fabrizio Sferra, batterie
Arrivé là où la musique l’a mené, dans le cénacle des grands du jazz, Enrico Rava pourrait se contenter, à l’issue d’une carrière époustouflante, de dérouler ses fondamentaux, bref d’ouvrir l’épicerie fine le matin après s’être assuré que les clients trouveront en rayon ce qu’ils souhaitent acquérir. Mais croyez-vous qu’un transalpin, libertaire en son temps, amoureux de la mélodie tout le temps, habitué à multiplier les projets, peut s’en laisser compter par le poids des ans ? D’autant que triestin d’origine, il semble mal placé pour brandir l’étendard de la culture unique et du conformisme, n’est-ce pas ?
Donc Enrico Rava s’en va puiser dans le vivier du jazz italien les jeunes pousses les plus éminentes, leur écrit un répertoire où l’on retrouve le swing, la mélodie, l’échappée free et l’idée qu’il se fait, à juste titre, d’un jazz profond et festif ne cédant rien à la facilité et dont il est l’un des dépositaires les plus remarqués depuis plusieurs décennies. Bien. Est-ce néanmoins suffisant pour enthousiasmer l’auditoire ? Oui, car Enrico Rava sait raconter les histoires comme seuls les italiens savent les narrer. Avec tambour et sans temps morts, il promène sa trompette dans la dramaturgie du quotidien latin. C’est alerte, sonore en diable, à priori d’une intempérante insouciance (méfions-nous cependant du cliché convenu de la botte au sourire éternel), cela virevolte. On crie dans les ruelles. On klaxonne, le verbe haut l’emporte sur tous les silences. C’est du moins l’impression première developpée par une musique qui ne laisse à l’auditoire que peu d’espace pour s’assurer qu’il respire encore. Mais on s’aperçoit rapidement que le trompettiste dirige ses comparses avec la souplesse du musicien qui sait laisser les idées des autres enrichir sa musique. Passé le rappel, on reste étonné par l’aisance avec laquelle le quintet a produit un jazz aussi complexe et dense qu’accessible et cohérent.
Un beau final pour Jazz Campus en Clunisois et toute son équipe. On vous demande donc, comme chaque année, de ne pas vous priver inutilement : allez-y !
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