Michel Delorme nous envoie un écho de ses "Nights in Tunisia", depuis le festival "Jazz à Carthage" qui s’est déroulé du 5 au 12 avril 2012.
> Jazz à Carthage (Tunisie) - mardi 10 avril 2012.
C’est dans la grande et magnifique salle Carthage I du Palace Carthage Thalasso, Tunis Nord ( Palace des "Mille Et Une Tunisie" pourrait-on dire ), que se produisait ce mardi 10 avril le grand saxophoniste Branford Marsalis. Dans l’exercice difficile du duo sax-piano.
Mais l’absence de basse et de batterie ne fut heureusement pas un handicap, tant l’empathie entre le saxophoniste et son complice, le pianiste Joey Calderazzo, fut de tous les instants.
Et si l’on doit utiliser un seul terme pour qualifier leur prestation, ce sera : densité.
Densité du jeu de Branford, au saxophone ténor surtout. Et particulièrement sur le premier morceau lent du concert, où sa sonorité pleine de tendresse faisait penser à quelque chose entre John Coltrane et Wayne Shorter.
Densité du jeu de Joey, plus spécialement sur le morceau rapide du rappel où son phrasé compact me fit un instant penser à Lennie Tristano, ce pianiste de légende bien trop sous-estimé. Et si l’on parle de sous -estimation, laissez-moi vous dire que Branford Marsalis est à Joshua Redman ce que Charlie Haden est à Esperanza Spalding.
Car disons-le tout net, Branford Marsalis est très probablement le meilleur saxophoniste ténor actuel, si l’on excepte Sonny Rollins le Roc et Wayne Shorter l’Extraterrestre. Tout comme Kenny Garrett me semble être le meilleur saxophoniste alto.
Un concert, donc, qui se méritait. Et les réactions spontanément enthousiastes du public attentif en furent la preuve. Grande idée que d’avoir programmé ce duo d’exception. Le jazz est un langage universel et seuls les hommes mettent des frontières entre les peuples et leurs cultures. Le saxophoniste Albert Ayler disait "Music is the healing force of the Universe" ( La musique est la force qui peut guérir le monde), Dieu l’entende.
À toutes fins inutiles (sic) rappelons que Branford Marsalis fit ses classes au sein des mythiques Jazz Messengers d’Art Blakey, comme tant d’autres. Et qu’il joua avec Dizzy Gillespie et Miles Davis, excusez du peu, avant de se frotter à l’univers de Monsieur Sting et au rap de Gangstarr. De formation classique comme son frère Wynton, il interprète aussi bien la musique symphonique d’un Claude Debussy par exemple, que le jazz moderne le plus inventif.
Le duo qui nous fut présenté hier soir tient du miracle pur et simple entre deux humanités. De Marsalis, Joey dit qu’il est brillantissime et de Calderazzo, Branford dit qu’il ne jouerait pas avec un autre pianiste que lui.
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En première partie, il nous fut donné de rencontrer un quartet venu du Tessin, Suisse. Contraste saisissant avec notre duo, il s’agissait ici de "viande saignante", de pur "rentre-dedans" » ! Du vrai Rhythm and Blues sous la protection bienveillante des Ray Charles, Horace Silver et Jimmy Smith par exemple. Ce groupe formé de Frank Salis (claviers), Marco Nevano ( sax ), Sandro Scheebeli ( guitare ) et Rocco Lombardi ( batterie ), nous administra une leçon de bonne humeur communicative. Je me suis même pris à rêver des quartets qui réjouissaient mon adolescence, comme ceux où jouaient ceux que l’on appelait les "ténors velus", les Red Prysock, Red Holloway. "Red", chauffés au rouge, ils l’étaient aussi nos vaillants transalpins !
Une très bonne entrée e matière à une soirée réussie.
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> Jazz à Carthage (Tunisie) - mercredi 11 avril 2012.
Bleu Touareg
Il y a très très longtemps que je n’avais assisté à un concert aussi beau, aussi invraisemblable, aussi envoûtant, aussi puissant !
Il faut dire que la diva marocaine a tout pour elle, tout d’abord une voix sombre et grave le plus souvent, féline/presque plaintive à d’autres moments. Prenez justement une trace de Leonard Cohen et de Billie Holiday, ajoutez-y un zeste de Marc Bolan, de John Coltrane ou Pharoah Sanders pour la transe, de Bob Marley et de Santana pour le swing dévastateur, de Jimi Hendrix pour la folie et vous avez... Rien du tout.
Car Hindi est unique. Simplement, je suis prêt à parier ma chemise qu’elle adore ces artistes, qui ont probablement nourri son enfance et son adolescence. C’est pour cela qu’elle mérite de figurer en bonne place dans un festival de "Jazz", et de toutes façons on ne devrait pas mettre de barrières : MUSIQUE, basta.
Outre la voix, elle possède un sens aigu de la mise en scène de ses chansons et une force de communication, de communion devrais-je dire, que l’on ne trouve que chez les grandes. Quand on a quelque chose à dire et qu’on a les armes pour le dire, on le dit haut et fort. Hindi Zahra est une chanteuse populaire, au sens noble du terme, et elle emmène son public avec elle. Il faut entendre comment ce dernier réclamer les chansons qu’il aime. Sans détailler tout le répertoire, j’ai été littéralement emporté par cet hymne à la liberté qu’est "Break all the chains". Je la vois bien le proclamer sur scène avec Carlos Santana, artiste "engagé" comme elle. "Voices" est également un sublime morceau de bravoure.
Et "last but not the least", ou "scoop de grâce" pour faire un clin d’œil à notre programmateur éméritus Mourad Mathari, Hindi est naturelle, sincère, humble, qualités suprêmes. Pas de cinéma, de chichis, de provocation à deux sous. Elle est une Madonne qui renvoie la Madonna à la vulgarité de la lessive de ses petites culottes.
Attention, Hindi Zarha est déjà une des plus grandes artistes du monde, et ce n’est pas fini.
SO SPRACHT ZAHRA !
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Photos © Sami Snoussi – en accord avec www.mille-et-une-tunisie.com