On aurait tort de croire que le tuba n’est qu’un instrument d’accompagnement appartenant au registre des graves. François Thuillier le prouve.
François Thuillier en 5 disques.
On aurait tort de croire que le tuba n’est qu’un instrument d’accompagnement appartenant au registre des graves. Pour preuve, il peut se trouver parfois au devant de la scène dans quelques grandes formations prestigieuses (Caratini Jazz Ensemble, MegaOctet d’Andy Emler, Orchestre Danzas de Jean-Marie Machado) avec l’un des représentants les plus doués de cet instrument en France : François Thuillier. Des oreilles attentives se sont portées sur cinq disques phares de son parcours de tubiste.
François Thuillier aime les duos. Ses collaborations avec les pianistes Andy Emler, Jean-Marie Machado, les percussionnistes Pierre « Tiboum » Guignon, François Kokelaere, le guitariste François Arnold et plus récemment Alain Bruel (accordéon) en sont des exemples significatifs. Grand admirateur des accordéonistes, notamment en raison de leur vitesse d’exécution et le côté populaire de l’instrument, Thuillier s’engage avec "Rocailles" dans un discours intime avec un accordéoniste dont la rencontre remonte à une collaboration dans un des orchestres de Jean-Marc Padovani.
Un instrument monophonique, l’autre polyphonique, tous deux ayant comme point commun de fonctionner avec de l’air, qui pour l’un est soufflé par l’homme et pour l’autre résulte d’une action mécanique de gonflement et dégonflement d’un soufflet. La plus grande similitude entre ces deux solistes d’exception est sans doute leur passé chargé d’histoires, de voyages, de rencontres aux confluences des musiques improvisées, avec leur goût prononcé pour les mélodies… et surtout leur souplesse de phrasé, la délicatesse de leur jeu et leur aptitude à s’emparer du langage de soliste.
Le discours de Bruel ne cesse de surprendre au fil des titres écoutés, dans des thèmes aux mélodies riches, aux modulations fréquentes et aux acrobaties rythmiques épatantes. Alain Bruel signe la majorité des titres, la plupart influencés par un folklore imaginaire (« Ratibus », « Rocaille », « Moraes Zogoiby », « Scatabronda ») qui puise ses influences dans le large registre des musiques traditionnelles, sans oublier bien sûr la valse musette (« Soir de Paris » de Louis Ferrari). Les deux musiciens particulièrement bavards nous livrent un dialogue qui se redécouvre à chaque écoute, de par la richesse des belles histoires musicales qu’ils nous racontent.
Pour les adeptes de la formule duo avec tuba, François Thuillier envisage très prochainement d’enregistrer le duo « FACT » partagé avec Anthony Caillet, encore une très belle occasion pour découvrir les immenses qualités dont disposent le tuba dans un rôle de soliste, loin des fonctions qui lui sont souvent attribuées dans les grands orchestres.
François Thuillier a souvent exploré la formule des trios de cuivres, en se privant donc d’une section avec batterie et contrebasse, habituellement rencontrée dans les rythmiques jazz. Dans les années 90, il initia le Thuillier Brass Trio, qui fit de nombreux concerts et devint par la suite l’Européen TV Brass Trio, dans lequel le trompettiste allemand délirant Mathias Schriefl remplace Serge Adam. L’European Tuba Trio est une autre mouture cuivrée qui par son caractère mono-instrumental permet de donner au tuba un rôle de soliste encore plus important que dans le Thuillier Brass Trio. Cette formation est la rencontre de François Thuillier, Sergio Carolino (tous deux aux tubas) et Anthony Caillet à l’euphonium.
Les trois soufflants sont tantôt solistes (introduction aux thèmes « Merci Schlipf ! », « Itchy scorpion »), ou non dans des improvisations (cas des thèmes « Knua B225 », « Jeudi 26 », « Au 52 » dans lesquels Anthony Caillet excelle), tantôt interprètes de thèmes à plusieurs (introduction à « Jeudi 26 », « Hymne au bacalhau »). Ils peuvent également assurer un rôle complémentaire d’accompagnateurs pour soutenir un chorus (« Merci Schlipf ! », « Indifférence »). Les échanges de fonctions se font naturellement, sans la mise en avant durable d’un soliste plus qu’un autre. Chacun apporte sa touche originale d’écriture avec des thèmes spécialement écrits pour l’occasion. On apprécie une reprise du thème « Indifférence » de Tony Murena et une composition de Franck Steckar (« Tuilages »), dont le père fut le précurseur de l’arrivée du tuba au devant de la scène en France.
Les subtilités rythmiques des lignes de basse funky dont Thuillier raffole sont présentes sur une majorité de thème pour mettre en valeur des mélodies gracieuses (« Lili’s Funk Remix », « 90210 collines », « Itchy scorpion »), chaleureuses et chantantes qui transportent l’auditeur dans un voyage au cœur du tuba jusqu’alors jamais exploré.
Voilà une belle surprise éditée par le label Yolk, véritable catalyseur de rencontres et de projets des plus novateurs. Cette formation sans leader apparent et à la formule singulière (un tuba et un trombone se retrouvent rarement dans un même trio) nous épate dès les premières minutes avec l’écoute de « Filature », « Route 67 » et « Valse fluctuante ». On admire la rythmique ébouriffante de Christophe Lavergne, au jeu saisissant et particulièrement mouvant sur scène. L’énergie véhiculée par le tromboniste Jean-Louis Pommier dans des improvisations décollantes et des glissendo aériens est surprenante.
Le phrasé massif et les lignes de basse rondes de Thuillier, ses triples sons, ses sursauts de notes et de rythmes témoignent d’un jeu très souple.
Outre leur participation respective à des grandes formations depuis de nombreuses années, qui ne leur permet pas forcément de nombreuses initiatives mettant en avant leurs admirables talents de solistes, chaque instrumentiste identifie clairement une position d’improvisateur, dans des chorus délirants soutenus par des grooves flamboyants. Les improvisations sont mises en valeurs par les nombreux échanges permis par cette véritable plate-forme tournante que constitue le trio.
Quelques miniatures improvisées complètent les compositions originales de Thuillier et Pommier. Cette formation peut par moment prendre l’aspect d’une mini fanfare (dans les « Coulisses slavoneuses », « Bone’(s) contact »), grâce à la richesse du vocabulaire et la culture musicale de chacun, l’intelligence d’écriture des thèmes évolutifs et l’interaction constatée entre ces trois musiciens soudés qui partagent la même conception de la musique.
Ce trio unique, résolument acoustique, développe un jazz ouvert sur les musiques d’aujourd’hui, une culture de l’imprévu et de la prise de risque sur scène, apportant à la musique tout son côté frai et inédit.
À voir et réécouter sur disque tant la musique et les sensations transmises sont fortes, généreuses et particulièrement touchantes.
> Lire aussi, sur CultureJazz.fr, la chronique de ce disque en 2008
Qui aurait pu croire que le tuba puisse se retrouver exclusivement dans un orchestre ?
Peut-être tous ceux qui ont connu en France le Steckar Tubapack de Marc Steckar, qui regroupait pendant vingt ans cinq représentants de toute la famille de cet instrument sur scène (tuba, saxhorn, soubassophone, euphonium…) ou en outre Atlantique le groupe Gravity ! d’Howard Johnson.
Après avoir participé au Steckar Tubapack dans les années 90, François Thuillier relève en 2002 le défis de fonder et diriger un orchestre amateur de tubistes. Le Mega Tuba Orchestra prends forme au fil des répétitions avec quinze jeunes élèves de sa classe qu’il dirige depuis plusieurs années au conservatoire d’Amiens.
On retrouve dans ce disque des compositions originales arrangées pour cet ensemble et deux standards, l’une de Benny Golson (« I Remenber Clifford ») et le célèbre « Birdland » de Joe Zawinul. Les traits typés du funk (« Gédéon »), les rythmiques groove, les ambiances dansantes et festives souvent entendues dans les fanfares sont présentes dans plusieurs titres (« Metis », « Super Ténéré », « Wounch »). D’autres thèmes plus calmes (« Des ambuls à Cyon », « Hotel 71 ») nous font apprécier le tuba dans des fonctions de soliste et d’accompagnateur au phrasé nuancé et subtil. Pour soutenir la masse imposante de cuivres de l’orchestre, un batteur et deux invités complètent les pupitres de l’orchestre (Anthony Caillet et Jérémy Dufort).
À l’écoute de ce magnifique orchestre, on constate que le tuba peut occuper toutes les fonctions instrumentales d’un orchestre d’harmonie ou d’un brass band, remplaçant les trompettes, trombones, cor d’harmonie, saxophones… grâce au respect des nuances, à la complémentarité des voix et plus généralement à l’art de l’arrangement bien fait pour un orchestre de ce type.
Pour les adeptes du tuba en grande formation, un autre orchestre dénommé « Oktopussy Tuba Orchestra » composé de six soufflants (tubas, sousaphone, baryton, saxhorn, euphonium, alto, bugle), une guitare et un batteur a aussi donné naissance à un enregistrement en 2007. Plus d’informations sur oktopussyorkestra.free.fr.
Parmi les diverses expériences initiées par le tubiste pour mettre en avant son instrument, le solo est sans doute la position la plus sincère qu’il a su défendre.
Ce disque est un recueil de micro-pièces allant de trente secondes à trois minutes, manière sans doute d’aller à l’essentiel et de présenter dans tous ses états un instrument dont peu s’aventurent à jouer en solo. Ces « exercices de style » ne sont jamais redondants, chaque séquence est l’occasion de démontrer tous les possibles du tuba (pour preuve, l’immensité de la palette sonore explorée).
Le travail en studio permet d’incorporer à quelques morceaux des bruitages obtenus à partir de l’instrument, de la voix déformée ou non par l’embouchure, et d’autres effets électroniques en tous genres (« Fraise sur 20 » et « Urban Tuba »). Thuillier aime faire alterner, sans trucages et avec peu de superpositions, différentes voix rappelant l’étendue des tessitures harmoniques à sa disposition (« Solo pour Doudou », « D-funk », « Oreilles sans préjugé »). Il ne dédaigne pas pour autant les acrobaties rythmiques couplées aux effets de re-recording (« Escroc ! », « Escroc toi-même ! », « Super Té », « Chemin buissonnier » et les diverses versions de « Someca »). Mention spéciale à « Promis c’est la dernière !? » pour la volonté de décomposer, déstructurer les sons afin de les multiplier et d’en inventer d’autres auxquels nous n’aurions pas pensé...
Il remet donc en question le tuba et le saxhorn en tirant du plus profond de ses tuyaux un univers imaginaire insoupçonné, sans négliger l’aspect mélodique (« Saxhorn Toi ! », « Gisèle » ou « Impromptu »). Il rend hommage à Albert Mangelsdorff dans « Le roi Albert », l’un de ses principaux inspirateurs pour les doubles et triples sons.
Ce disque démontre une volonté renouvelée de présenter le tuba comme un instrument toujours plus libre et aventureux. Il est à tous les niveaux une performance, qui en dit long sur la maîtrise technique de Thuillier et sur son parcours musical. Une belle façon de réinventer ce que n’a jamais été le tuba.
> Liens :
Pour aller plus loin avec la position de soliste du tuba dans le jazz :
> Discographie de François Thuillier :
> Autres participations discographiques (ordre non chronologique) :