"Line 4" c’est la ligne que trace (à quatre voix/voies) la formation du trompettiste Christophe LeLoil. Pour éclairer le disque paru en 2013, nous pouvions les écouter au théâtre de Caen le 24 janvier.
Samedi 24 janvier 2015. Théâtre de Caen.
16h30 : Les portes du théâtre s’ouvrent et le public patient mais un peu frigorifié par l’attente sur l’esplanade s’engouffre dans le hall et grimpe jusqu’aux foyers du théâtre. En quelques minutes et une demi-heure avant le début du concert les meilleures places sont prises. Pas de doute, malgré une longue période de travaux qui a privé la ville de son théâtre, "Jazz dans les Foyers" fait toujours recette (façon de parler : ces concerts sont gratuits !).
D’autant plus ce samedi 24 janvier avec le retour dans sa ville de "Tonton Christophe" (dixit son jeune neveu derrière moi). Le caennais Christophe "LeLoil" Loilier est devenu marseillais depuis le début des années 2000 et son retour au pays est l’occasion de réunir famille et amis... qui ne représentent somme toute qu’une toute petite proportion d’un public toujours aussi curieux.
17h00 : Michel Dubourg est visiblement heureux d’annoncer l’arrivée du quartet et de retrouver le cadre familier des foyers. C’est parti ! Il n’y aura que trois concerts dans la série 2015, mais il y a comme un air de rentrée retardée.
Musique !
Je l’avoue, après la secousse provoquée par ECHOES, le disque du sextet de Christophe Leloil paru en 2009 (AJMI series - lire la chronique ici), j’avais eu un peu plus de mal à suivre le cheminement interurbain que propose le trompettiste dans Line 4, son disque inspiré par des déplacements en métro dans différentes métropoles mondiales (Label Durance - lire ici). Le format du quartet autour du Fender Rhodes, l’esprit plus urbain ne faisaient pas vraiment écho chez moi malgré les qualités indiscutables des interprètes.
Une fois de plus, le concert offre la clé pour ouvrir la porte qui vient éclairer la musique. Le slogan "sudiste" de l’AJMI (Avignon) prend alors tout son sens : "le meilleur moyen d’écouter du jazz, c’est d’en voir !".
Il fallait donc comprendre le choix croisé de deux axes : nord-sud ou marseillais-"parisiens", base de la géographie de ce quartet.
Éric Surmanian, contrebassiste à la technique imparable est aussi imperturbable qu’un pêcheur marseillais à l’affût près du petit port du Vallon des Auffes ! Il ne quitte guère des yeux le trompettiste mais garde une oreille attentive pour la partie de ping-pong musical à laquelle se livrent Carine Bonnefoy (extrême concentration... mais trop rare pianiste qui achève une thèse !) et André Charlier, batteur au jeu ici très libre et inventif. Ils jonglent sur la trame rythmique et harmonique d’une musique toujours en mouvement.
De ville en ville, de Moscou à Londres, de Barcelone à New-York, le concert se déroule comme un voyage. Eu guide talentueux et inventif, Christophe LeLoil nous emmène par des chemins détournés où l’on croise les silhouettes de quelques grands du jazz (Booker Little, étoile filante de la trompette qu’il vénère, ou l’incontournable Duke Ellington pour une interprétation d’Azure qu’il dédie à la cité phocéenne...).
Le concert permet aussi de mieux comprendre la subtilité de compositions qui reposent sur les bases du jazz mais savent s’affranchir de cadres trop rigides par des partis-pris et des contraintes qui donnent d’autant plus de piquant au jeu collectif. Ainsi, le choix du Fender Rhodes qui vient contraster avec la sonorité boisée de la contrebasse qui prend plus de profondeur encore dans le jeu à l’archet où excelle Eric Surmenian.
Christophe LeLoil, normand bavard aime "blaguer" avec le public (comme on dit en Provence) mais dès lors qu’il reprend sa trompette, il sait aller à l’essentiel. Sa sonorité franche et assurée, son phrasé sans fioritures inutiles, son sens de l’écoute et son plaisir de partager sa musique avec son équipe de musiciens pour le public sont autant de qualités qui contribuent à la réussite du concert.
Rappel, moments d’échanges avec les amis et spectateurs ensuite, retrouvailles avec les copains musiciens concluaient ce moment de musique qui aura marqué de belle manière la reprise de la série "Jazz dans les Foyers"
21h00 : Après le concert, l’écoute du disque s’impose à nouveau : tout est désormais plus limpide et on redécouvre avec un plaisir neuf les pièces qui n’ont pas été jouées en concert. N’hésitez donc pas à suivre cette Line 4. Christophe LeLoil vous emmène dans un parcours imaginaire sans tape-à-l’œil à travers sa musique voyageuse toute en profondeur. Un très bel hommage à l’histoire de la trompette dans le jazz qui sait contourner l’influence de Miles Davis souvent trop prégnante aujourd’hui encore dans le jazz.