Trois jours en compagnie de l’ARFI qui nous firent penser au postulat suivant : quel peut-être l’intérêt d’une musique qui ne provoque personne ou ne dérange personne dans ses certitudes... ?
Trois jours en compagnie de l’ARFI qui nous firent penser au postulat suivant : quel peut-être l’intérêt d’une musique qui ne provoque personne ou ne dérange personne dans ses diverses certitudes, depuis une certaine émotion de valeur ? L’ARFI nous montrera qu’il savait se prévaloir d’un modèle de recognition permanent avec lequel il s’évite l’usage et l’usure d’une doxa. Ils bousculent sans cesse l’ordre de la temporalité. Leurs lignes de conduite se retrouvent modelées d’une source d’idées partagées par des combinaisons aléatoires. Ils permettent ainsi la naissance de toutes sortes d’illusions concrètement imaginables. Ils s’affectent mutuellement liés les uns aux autres, pour devenir depuis cette chaîne, le rouage sans manquement et sans évitement. En multipliant les projets d’assemblages uniques ils distribuent les irréductibilités faites d’une torsion chercheuse, remuante de mille affects. La conceptualisation n’y est jamais monosperme mais relève d’influences multiculturelles.
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> le 21 novembre 2014
Notre première entrée en matière avec les Éclats d’ARFI se fit dans cette grande Bibliothèque de la Part Dieu. Ce début de soirée était l’occasion de présenter le label au public avec les nouvelles productions.
Pour apporter du concret un duo de musiciens venait soutenir cet acte de réjouissance musicale. Et le contenu fut une belle représentativité de ce que l’ARFI sait donner de mieux pour provoquer des surprises diverses. Une clarinette basse, un violon pour accompagner une voix : celle de Clémence Cognet, tenant entre ses mains l’archet nécessaire au dernier instrument précité. Clément Gibert produisait de tenaces échappées d’une consistance regorgeante d’affinités. Il y a des époques mortes, des langues mortes comme il y a des musiques que certains ne veulent pas voir enterrer. Il ne s’agit pas d’une posture mélancolique que de vouloir faire vivre le traditionnel et de le rendre vivant. Le chant occitan produit par Clémence avait cette fraîcheur franchement naturelle envers son engagement, pour rendre cette musique authentiquement vive. On y entrevoyait tous les entrelacs de la nature sensitive qui faisaient trace et lien avec une incarnation pure dans la propre chair de la sagesse vocale de Clémence.
Ils creusèrent à deux les profondeurs de l’écorce musicale pour se placer au cœur de la pensée nécessaire, pour satisfaire cette réalisation emblématique.
> Le 22 novembre 2014 à l’Ecole Nationale Supérieure Arts et Techniques du Théatre
C’est un véritable harpail de cuivres en tous genres qui nous attendait lors de cette nuit hommage à l’endroit d’Alain Gibert. Une cinquantaine d’invités devaient s’aligner les uns derrière les autres pour faire vibrer la cohérence de cet ensemble. Ce fut un exercice de haute précision que de mettre à portée de main ces instruments reluisant d’inventivité et surtout de complicité. Les cuivres ainsi mêlés faisaient résonner l’hallali du souvenir. Cet instant se plaçait dans un degré de proximité direct avec le tromboniste dont chacun était venu faire l’éloge.
Il nous fallait sortir de notre torpeur de spectateur noctambule. La trame radiophonique et les informations défilèrent dans le hall, sous le sens informatif ubuesque entraîné par Jean Méreu. On passait ensuite dans La Marmite Infernale puis au breuvage Workshop de Lyon à la régénérescence significative. Des formes persuasives se pliaient se dépliaient sur la voie de l’ouverture et sous l’emprise des grandes familiarités curieuses. Il résultait de tous ces beaux équipages une détermination à l’usage du Jazz.
Une partie de la soirée venait grossir le trait sur l’instrument pratiqué agilement par Alain Gibert.
La prescience des trombones en accentuait les bouleversantes chaleurs refoulées. La pensée est plus grande à plusieurs lorsqu’elle englobe de surcroît un texte aussi imprégné de valeurs littéraires. Le long contenu narratif d’Enzo Cormann intitulé « En Trombe » formulait en sous-titre « Jazz poem en kit pour voix et trombones ». Il y plaquait sa voix par des ferveurs idéiques essentielles. L’extrait à lui seul vous parlera de la teneur de cette précision d’écriture qui inhalait chaque vagues poussées par les onze trombonistes.
« Comme la plupart des cuivres
le trombone est une fleur coupée
dans laquelle on souffle par la tige
la fleur coupée émet des vents
après avoir embouchuré la tige par le cul
le soufflant refoule lesdits vents
vers la tête pavillonnaire de la plante
qui saque et boute les pestilences
les notes trombonées sont des pets contrariés
refoulés et commués en contrepets
rappelons que le contrepet
consiste à faire entendre une musique singulièrement distincte de celle qui est jouée
par exemple dans la remarque
ce trombone nous brouille l’écoute… »
Les trombones faisaient régner une unité de vraisemblance avec cette claudication de notes éparses bousculées, prises dans ce grand renversement des saveurs métalliques.
> Le 25 novembre 2014 en collaboration avec le Périscope et Graffer Records.
La troisième couche d’accomplissement nous montrait qu’ils n’étaient pas tous prêts à capituler le moins du monde. Au troisième jour il y avait les perspectives inexploitées à raviver et le free jazz. L’attractivité du moment se posait occasionnellement sous nos yeux avec notre présence complaisante prête à tout entendre tout écouter. Tous sortaient ce soir-là du caveau de la différence, à se laisser aller aux fulgurances furtives de l’esprit. Ils nous arrachèrent au relief de l’innommable mais restèrent assez proches du perceptible pour savoir nous convaincre et nous remuer.
Éric Brochard et Éric Vagnon nous emportèrent dans le tréfonds avec l’usage de l’électronique. Ils pouvaient parvenir à provoquer en nous des images proches de la flexion eidétique. Le niveau sonore produit se situait à la surface de l’émergence des singularités de ce projet. Notre raison cherchait alors à corporaliser l’incorporel face à cette logique. Ils semblaient dresser les petites machines diaboliques à stigmatiser la raideur et la tension paradoxale. C’est donc deux univers qui se font face pour les deux Éric. Entre les instruments habituels qu’ils fréquentent et ceux de ce soir. Dans les deux cas ce sont leurs forces intuitives qui sous-tendent la nécessité de leurs réussites. Ils parviennent à créer de vrais évènements électro-acoustiques auxquels ils cherchent des noises dans la persistance d’une effectuation spatio-temporelle.
Avec l’arrivée du trio slovène Drasler, le Périscope se transformait en un sanctuaire voué au culte free jazz. Les gardeurs de ce sacrifice étaient Marko Karlovcec au saxophone alto, Jost Drasler à la contrebasse et Vid Drasler à la batterie. Une implication ferme, tranchante, hautaine même envers les rois de la partoche qui ne savent pas se conduire autrement par sa présence habituelle, qu’avec un bégaiement instrumental caudataire dont se trio savait se départir allègrement. Rien n’était jamais vraiment stable ni sûr dans ces rapports de contre-pouvoirs permanents, chaque fois que ces musiciens envahissaient les instruments avec cette radicalité du dérangement continuel, pour en tirer une bonne fois pour toute ceux-ci de l’enfonçure du réglage rituel.
Accroché à son saxophone alto pris dans des filins élastiques, Jean Aussanaire sortira du commun des joueurs dans des mouvements d’individuations vibratoires. Pris dans ces mailles, le son du saxophone venait se fissurer de résonances incertaines sur de longues boucles entachées d’une rumeur cosmique, dont il arrivait à ne pas devenir l’unique raison secrète.
Une sorte de sonorité mutationnelle sortait des traitements exploités voire extirpés de la matière instrumentale piégée entre les volontés décisionnelles de chacun. Pour réaliser cela Olivier Bost enfourchait une guitare préparée aux pires torsions. Quant à Patrick Charbonnier il devisait sur le daxophone à l’aide d’un archet providentiellement disert devant les glissements circonstanciels. Dans ces décentrages avec l’ordinaire venait se coller la parole de Charles Pennequin. Un sens textuel drolatique faisait chavirer des déclamations inattendues sur un gros débit de munition verbale. Des phrases attrapées au vol : « Les mots ça trempe sa nouille. J’ai pas envie qu’on embrasse ma poésie. »
Ce compte rendu est imparfait il ne tient pas compte de toutes les multiples facettes entrevues. Il faudrait pour cela y consacrer un livre entier. Il y a même des dates que nous n’avons pu couvrir du 5 au 26 novembre, mais que le collectif sache qu’il ne s’agit pas d’un manque d’intérêt à leur égard. On va juste dire que l’année prochaine c’est sûr on fera encore mieux. C’est une façon de vous montrer qu’ici à Lyon avec cette Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire nous avons bien de la chance de les compter parmi notre patrimoine local. Après tout il n’y a pas que notre beau jeu de laids et son saucisson pilote inébranlable.
Ils nous ont donc rendu accroc à leur trip, on serait même capable d’aller s’y coller une fois par mois. Au lieu de cela on devra attendre la fin de l’année 2015 pour se refixer sur le piano de tous ces marmitons.