En mai, le pérégrin fait ce qu’il lui plait. Et c’est pareil les onze autres mois de l’année...
Vingt-neuvième étape
Le 22 mai 2015, jour qui vit naître Gérard De Nerval (1808) et Sun Ra (1914), nous étions au Périscope pour une soirée Imuzzicienne. Rémi Gaudillat fêtait là les 10 ans du Brass Band nommé Docteur Lester en référence à qui vous devinez. En première partie, il présenta une formation plus récente mais pas nouvelle, Le Chant des Possibles. Quatre vents qui tournent et serpentent autour de mélodies fines comme une feuille à peine éclose. C’était feutré et suspendu, construit par touches successives sans jamais heurter les pavillons. Une sorte de petite brise campagnarde qui vit sa vie un jour d’été à l’ombre d’un grand chêne.
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Le 25 mai dernier, la photographe documentaire américaine Mary Ellen Mark a définitivement baissé le miroir. Soit, ce n’est pas du jazz. Mais il est bon de rendre hommage à cette femme exceptionnelle, aux talents multiples, qui saisit notamment la misère sous toutes ses formes avec des images d’une rare puissance, mais pas seulement.
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Trentième étape
Fin de saison à Lausanne, un 30 mai, jour qui vit naître Benny Goodman (1912), disparaître les auteurs Hermann Broch (1951) et Boris Pasternak (1960). Si vous ajoutez à cela qu’en 1431 les anglais choisirent ce jour pour inviter Jeanne d’Arc à son barbecue… Enfin, rien n’est plus surprenant qu’un jour parmi les jours. Et les jours d’ailleurs (du crépuscule de l’aube à l’aube du crépuscule) et les nuits aussi, sont, avant tout, le paysage unique (l’absolue présence, l’indispensable mélodie), auquel nous nous référons, pour peu que notre expérience, l’intuition et nos hantises en habitent la densité.
Ce dernier samedi de mai, c’est au bord du paysage musical de Susanne Abbuehl que nous nous assîmes. Au plutôt, au beau milieu, au bord de la rivière. Parce que regarder l’eau, c’est ce que l’on préfère. Et nos yeux se perdirent dans ses reflets, ses remous et ses chatoiements comme des secrets entraperçus (mais bien vécus). Au fil de sa mélodie, le rythme de la rivière jouait avec le temps et se jouait du nôtre. Les mouvements de l’air dans les branches déplaçaient les ombres. Nous le voyions à la surface de l’eau. Et près des herbes alanguies (tout au bord) sous lesquelles on passe la main pour attraper les truites, l’on entendait cet étrange bruissement du liquide contre la terre humide. C’est un chuchotement peuplé d’échos ténus. Et nous nous souvînmes alors qu’il y a toujours des mots dans le paysage et que, s’ils sont poésie, ils ouvrent bien des fenêtres sur l’imperceptible et le fragile. Des mots anglais pour l’occasion qui nous dirent que le regard doit s’épanouir dans l’espace (intérieur / extérieur) puisque c’est là que la vie nous retient, dans la profondeur. Pour un temps, nous perdîmes la mémoire. C’est toujours reposant. Susanne Abbuehl chantait. Ses musiciens l’accompagnaient. C’était cadeau.
Susanne Abbuehl, chant / Matthieu Michel, bugle / Wolfert Brederode, piano, indian harmonium / Olavi Louhivuori, batterie / invité : Clément Meunier, clarinette
Post Scriptum : Et voilà qu’Ornette se défile. Jeudi 11 juin 2015. Il va nous manquer, oui. Mais c’est un arbre tutélaire, immédiatement identifiable dans le paysage, de ceux que l’on n’abat pas et sous lesquels on peut se coucher et approcher la singularité harmolodique en rêvant.
Dans nos oreilles
Johnny Cash : American V : A Hundred Highways
Sous nos yeux
Jean-Loup Trassard : L’homme des haies