Trente-cinquième étape

Le Péristyle

18 juillet 2015. Il a plu ! Le pérégrin file au Péristyle de l’Opéra de Lyon écouter Isaac’s Mood qui se qualifie non sans humour de « Jazz Power Trio. » N’ont-ils d’yeux que pour Isaac Hayes ? Que nenni. Tout n’est pas si noir. D’accord, vous pouvez bien songer à la dernière période de Grant Green mais aussi au Larry Carlton, période requin de studio. C’est le hard groove dans tous ses états, comme dirait Roy, et obligatoirement West Coast. David & Larry « funky-smooth-fusion » Sanborn & Carlton ne sont pas loin. Excusez si nous citons toujours les mêmes mais les autres ont quelque peu disparu de la mémoire collective. A peine si Lee Ritenour et Dave Grusin ont encore un nom. Quant à Diane Schuur, qui à l’époque était la Stevie du miel musical dégoulinant, qui sait qu’aujourd’hui elle swingue encore, autant que faire se peut ? Enfin pour faire court, disons qu’à l’époque la France sortait du linoléum, du formica et de la toile cirée tandis que les États-Unis en avaient assez du Vietnam, suffisamment assez pour regarder les vagues californiennes comme un don aussi délicieusement salé que propice à l’oubli. Avec une sound machine et des cassettes au chrome, vautré dans le sable, t’étais le roi et gare aux cotonnades ondulantes qui épousaient les féminines assises… Si ça se trouve, Saint François ne s’est pas remis d’autant de lourde légèreté assumée. Bref, avec les moyens du XXIème siècle, David Bressat, Benjamin Gouhier et Charles Clayette servent le cocktail avec la rondelle de citron et les olives. Soir d’orage, le soleil a découché mais il fait encore chaud ; pas autant qu’à Rome le 18 juillet 64 où le grand incendie a cramé les pizzas. Le public est là, au cœur de la ville et la musique du trio suggère une certaine moiteur, un groove inscrit dans la hanche. Ceci écrit, cette musique-là, elle t’attire immédiatement les dix premières minutes. Puis tu commences à mater dans le public les jolis minois en marquant la mesure du bout de la chaussure. Enfin tu causes avec ton pote. Il n’y a guère que les bulles de la boisson gazeuse qui s’agitent encore. C’est bizarre. Cela provoque une pulsion et puis plus rien. Pffft ! A moins qu’avec un pétard ça ait plus de corps (à corps, accord, hard core). Et avec de l’alcool plus de saveurs. Y a-t-il quelqu’un sur Terre qui saurait où se nichent l’étincelle qui provoque le désir et, plus encore, la flamme qui l’alimente ? Enfin, passons.


Trente-sixième étape

Les Glossy Sisters

20 juillet 2015, jour qui vit naître en 1938 de fort jolies femmes. Diana Rigg, plus connue sous le nom d’Emma Peel, et Natalie Wood, née Natalia Nikolaevna Zakharenko, entre autres. Y a-t-il quelqu’un sur Terre qui saurait où se niche… Enfin, passons. Sur la scène étroite du Péristyle, il y a un contrebassiste (Michel Molines) et trois chanteuses (Marion Chrétien, Lisa Caldognetto et Claudine Pauly). Pfff ! Y a-t-il quelqu’un sur Terre qui… Ce sont donc les Glossy Sisters. Sur un répertoire qui érige l’éclectisme en valeur fondamentale, elles ne manquent pas de séduire par une réelle présence scénique, ce qui n’est pas donné à tout le monde, et une qualité d’interprétation qui n’exclut pas l’humour. D’une chanson l’autre, les arrangements sont originaux et non dénués de finesse et, tandis que l’excellent contrebassiste Michel Molines, mine de rien, tient la baraque, le public ne s’y trompe pas et participe bruyamment, quitte à combattre la mesure… C’est joyeux et chaleureux, c’est frais et énergique, ça colle au poil et fait presque oublier une soirée caniculaire de plus dans un centre-ville qui fleure bon la pollution crasseuse et le touriste en sueur. Les Glossy Sisters font donc bon usage de la moiteur ambiante et, même si le genre est loin d’être nouveau, elles le rafraichissent grâce à une inventivité méritoire. Le temps d’un set ou deux, nous avons omis de penser à la mort soudaine de John Taylor dont les traces phonographiques peuplent nos étagères. Et l’on s’étonne encore de constater que le passage du temps nous prive à l’envi de notes stellaires utiles à nos faiblesses, de musiques repoussant les frontières de nos tristes néants. John Taylor, en autodidacte inspiré, avait cette capacité inestimable à faire briller les contours byzantins et lyriques d’un univers qui suscitait le rêve musical dans son abyssale profondeur. Un art préservé dont les impétrants, aussi peu nombreux soient-ils, demeurent inoubliables.

Décidemment, le type qui a inventé l’enregistrement est un génie.


Dans nos oreilles

Jason Moran : All rise
Pat Martino : We’ll be together again

Sous nos yeux

Orhan Pamuk : Le musée de l’innocence