Où le pérégrin qui s’ennuyait ferme est content de retrouver son appareil photo, sa plume et ses oreilles.
Quarante-troisième étape
Que faire en ce 26 septembre maintenant que l’été est mort, bien mort ? Aller écouter Christian Muthspiel (grand frère du guitariste Wolfgang, trop rare en nos contrées) en quartet ? Oui. Parce qu’il propose la relecture d’une des œuvres les plus renommées de John Dowland (1563-1626) intitulée « Lacrymae or Seaven Teares ? » Encore oui. Mais avant d’en parler, laissez-moi vous chuchoter ne serait-ce qu’un instant que le 26 septembre est le jour de naissance de Gayle Peck, autrement dit la sensuelle Julie London (1926), celle-là même qui fit frémir les hommes du milieu du vingtième siècle par sa célébrissime interprétation de « Cry me a river. » Question : Quel était le chef arverne qui mourut également un 26 septembre, en 46 avant Jésus Christ ?
Il se trouve assez régulièrement des jazzmen pour s’intéresser aux musiques anciennes. Est-ce un indice nous disant que le jazz prend ses distances avec la pure création ? Seuls les puristes -faut-il dire aujourd’hui les intégristes ?- peuvent le croire et s’en satisfaire en réécoutant un solo de Benny Goodman. Nous pensons bêtement que chacun est libre de ses choix et, conséquemment, que Christian Muthspiel a raison de se tourner vers une musique qui le fascine depuis l’enfance, d’autant que l’improvisation à cette époque et dans ce cadre n’était ni une vue de l’esprit, ni une fantasmagorie. En poly-instrumentiste intelligent et en compositeur savant, l’autrichien renoue donc avec le passé musical élisabéthain et nous livre, quatre siècles plus tard, un ensemble de pièces polyphoniques captivant. Avec des musiciens de haut-vol (Franck Tortiller & Matthieu Michel) ou culte (Steve Swallow), une utilisation pertinente des effets et un désir de jouer évident, la re-création originale qu’il propose est un nitescente symbiose entre un monde enfoui dans les limbes du passé et le nôtre qui n’a plus rien d’un beau jardin d’Eden. Au sein de ce cadre foncièrement mélancolique aux mouvements flottants qu’est la pavane, sans jamais oblitérer ses éléments structurels fondamentaux, Christian Muthspiel et ses acolytes improvisent, se rapprochent et s’éloignent de la source, nous prennent par surprise, faisant résonner les voix et créant une atmosphère musicale où s’épanouit un dialogue sensible entre les époques, comme un fil gracieux intemporellement tendu entre le jadis et l’aujourd’hui. Cela ne manque pas de style, chaque instrumentiste s’exprimant avec une clairvoyante finesse et un sens du placement d’une rare acuité, et cela procure à l’auditeur un plaisir subtil, apaisant et consolatif. Du grand Art, comme ont dit, devant un public conquis, venu comme nous pour Steve Swallow, et qui repartit du Périscope avec une belle découverte dans sa musette.
Dans nos oreilles
Julie London - Julie is her name Vol 2
Devant nos yeux
Ishi - Theodora Kroeber