Le pérégrin fait le grand écart entre Mâcon et Lyon. Est-ce bien raisonnable ? Ses ligaments en grincent encore... et ses pavillons aussi.
Quarante-neuvième étape
Allez découvrir une chanteuse dont il semblerait que l’on dise beaucoup de bien provoque sans coup férir une légère excitation de notre matière grise. Ceci étant, nous nous souvenons que la veille, le vendredi 13 novembre, jour de naissance de Jean Seberg (1938) et de Whoopi Goldberg (1955), nous avions écouté, en début de soirée, au LS JAZZ Project, un merveilleux concert de Federico Casagrande, avec Sébastien François et Bruno Tocanne, centré sur des compositions écrites par le guitariste italien dans différentes villes du monde. Ce concert fut sur le moment un admirable voyage au sein de la géographie humaine et, après coup un vibrant hommage à la diversité et à la tolérance. Quoi qu’il en soit, je me refuse, aujourd’hui plus encore, à chanter un hymne quel qu’il soit. Seul l’amour est un chant respectable.
Mais revenons à la chanteuse évoquée en préambule, Agathe Iracema. Nous ne mettrons pas en doute ici ses capacités vocales, ni sa technique, ni même ses accompagnateurs (Pierre-Alain Goualch - piano / Juan-Sébastien Jimenez - contrebasse / Pierre-Alain Tocanier batterie), mais, pérégrin que nous sommes, nous ne savons qu’écrire (c’est rare). Fatigué par la linéarité d’un premier set qui nous parut ne jamais finir, nous ne tînmes pas jusqu’au bout du deuxième. Une première depuis plus d’une décade, c’est vous dire. Seulement, laissez-nous espérer que cette jeune personne cesse au plus vite de déballer les pires poncifs sur la vie et la mort et l’amour et caetera entre chaque morceau et, c’est une supplique, qu’elle cesse également de minauder à longueur de temps d’un bout de la scène à l’autre. C’est dingue mais croyez-moi, elle ferait passer Mina Agossi pour la plus rigoriste des carmélites. Éprouvant. Et regrettable.
Peut-être était-ce la faute de cet étrange 14 novembre 2015, jour qui vit pourtant la parution en 1913 du livre de Marcel Proust « Du côté de chez Swann », première partie de la Recherche du temps perdu. C’est bien vrai qu’on en perd quelquefois.
Cinquantième étape
Dans le calendrier républicain, le 18 novembre est le 28 brumaire dit « jour du coing ». Ca m’en bouche un et me fait songer que la pâte de coing occupe souvent une position centrale dans l’enfance. Enfin, passons. Passons et arrêtons-nous au Périscope (encore !) dont la programmation jazz, cette année, nous interpelle régulièrement par sa qualité. Et ce mercredi passé, échappé d’un genre de rouge daskapitalesque, Hasse Poulsen nous plongea dans la négritude avec « The Langston Project », création musicale autour des poèmes de Langston Hughes, poète du début du vingtième siècle qui assuma, bien avant Césaire, Senghor et les autres, sa couleur. Langston Hughes aimait à dire qu’il avait écrit des poèmes jazz ou/et blues. Hasse Poulsen les a attaqués à la racine en réunissant des musiciens « roots » issus d’univers musicaux différents. La bonne surprise, c’est que le quartet est furieusement homogène. La musique qu’il proposa l’autre soir avait les traits d’un brûlot dense, intense et profond, sis quelque part aux confins du déchirement de la joie pure. Délivrée avec des sonorités tranchées, une rythmique à la lourdeur explosive (Mark Sanders et Luc Ex), cette musique portait la voix noire, ardente et évocatrice de Debbie Cameron, chanteuse que nous découvrions à cette occasion. Devant une assistance réduite à peau de chagrin (par les circonstances ? ), le quartet ne renonça pas et il joua cette musique hantée par le message universel du poète avec un engagement singulier qui fit trembler de plaisir les quelques humains attirés par les vers et les notes.
Nous savions depuis longtemps que Hasse Poulsen avait l’art de réussir ses projets. Il le prouva encore dans ce Périscope quasi désert, Périscope dont la scène, soit dit en passant, était « éclairée » de manière injurieuse pour Debbie Cameron qui passa la quasi-totalité du concert dans une insupportable pénombre tandis que le rideau de fond de scène, lui, nous montrait ses plis les plus avantageux. De l’humour noir ?
Dans nos oreilles
Dave Liebman & Marc Copland - Bookends
Devant nos yeux
Marguerite Yourcenar - Fleuve profond, sombre rivière
Agathe Jazz 4tet
Samedi 14 Novembre 2015, 20h00
Le Crescent - Place St Pierre - 71000 Mâcon
Hasse Poulsen "Langston Project"
Mercredi 18 novembre 2015
Le Périscope - 13 Rue Delandine - 69002 Lyon