En cette mi-janvier, l’hiver pointe enfin le bout de son nez sans trop vouloir mordre cependant. La neige s’est invitée ailleurs, comme à Thionville où ce quartet se mettait en voix la veille. Pas de problème pour être à l’heure ce samedi afin de préparer au mieux ce concert de fin d’après-midi : une balance en bonne et due forme permet de bien prendre en compte les spécificités de ce lieu largement ouvert, disposé en étages. Espace vaste mais vite rempli avant 17 heures car le succès de cette série historique des concerts, Jazz dans les Foyers (entrée-libre mais public hyper-respectueux ), ne s’effrite pas, bien au contraire. L’actuelle "résidente" (depuis 2014) de Jazz Sous Les Pommiers (Coutances) n’aura pas mis longtemps à se tailler une solide réputation appuyée par quelques récompenses prestigieuses d’instances nationales (Académie et Victoires du jazz).

Airelle BESSON Quartet
janvier 2016 - Caen
© Thierry Giard - 2016

Airelle Besson prend son temps. Elle a de toute évidence le sens de la mesure, du travail soigné et réfléchi. Elle ne se disperse pas dans de multiples projets personnels. Après avoir collaboré avec le saxophoniste Sylvain Rifflet dans le groupe Rockingchair il y a quelques années, on l’aura surtout entendu développer un certain art du duo complice avec le guitariste Nelson Veras. Ajoutons à cela, bien entendu, les fonctions de side-woman assumées avec brio comme ce fut le cas avec le contrebassiste Riccardo Del Fra ("My Chet My Song" - 2014).
C’est en mai 2015, lors de la dernière édition du festival Jazz sous les Pommiers qu’elle a pu présenter sur scène sa nouvelle formation, ce quartet que nous avions le plaisir d’écouter (...de réécouter) à Caen.

Isabel Sörling & Airelle Besson
© Thierry Giard - 2016

Bien qu’elle reste attachée aux fondements du jazz (mélodie, harmonie, fonction du rythme), Airelle Besson cherche de nouvelles couleurs, d’autres modes de jeu et d’inter-relations dans le groupe. Un quartet sans bassiste (c’est assez "tendance" en ce moment) mais non sans basses puisque les divers claviers de Benjamin Moussay permettent de combler ce manque (oui, nous le percevons parfois comme un manque, il faut bien le dire...). Fabrice Moreau assume avec une expertise indéniable le soutien rythmique, profitant des espaces offerts par les compositions de la trompettiste pour de belles et discrètes escapades en soliste entouré. Tout près de la trompette d’Airelle Besson (sonorité franche, limpidité du phrasé, sens de la nuance), la voix de la suédoise Isabel Sörling trouve naturellement sa place pour s’enrouler autour des mélodies, apporter un tissage sonore qui voile les compositions de fines broderies nordiques par un usage modéré et subtile et des effets électroniques.
Et la musique dans tout cela ?
Elle prend vie sur un ensemble de compositions de la plume d’Airelle Besson qui ont comme points communs de se baser sur des motifs mélodiques simples, lesquels, de manière générale, se dessinent dans le jeu musical comme des formes aux contours nets, aux angles parfois saillants, aux allures complexes émergeant de textures nébuleuses et fluides. Ces mélodies sont lumineuses et subtiles et restent aisément dans l’oreille. En cela, cette musique emprunte à la pop-music, cette manière de faire naître des tubes. Bien des mélodies pourraient en devenir (Radio One, Neige, The Pinter and The Boxer, et le superbe et très évanescent Around The World...) si elles n’étaient destinées à des jazzmen (women) qui ne sauraient se satisfaire de la reproduction de formes façonnées pour plaire et consommées comme telles.
En cela, ce quartet est une formation éminemment inventive et créative. Quand on connaît le talent d’un Benjamin Moussay, souvent complice de la voix de Claudia Solal ou des clarinettes de Louis Sclavis (parmi tant d’autres...), la finesse d’un Fabrice Moreau, la poésie intériorisée et subtile d’Isabel Sörling, on comprend qu’Airelle Besson n’a aucune envie de figer cette musique dans sa forme. Il faut pour cela que cette formation multiplie les terrains de jeu, qu’on lui offre (comme à tant d’autres) de multiples occasions de se produire en public pour s’affranchir de la partition et donner toute leur dimension aux espaces imaginaires que peut faire naître cette musique de grande valeur.
Un très beau moment chaleureusement salué par un public enthousiaste.
On attend la suite et le disque qui ne tardera pas, en principe...

Airelle BESSON Quartet ©© Thierry Giard - 2016
Isabel Sörling & Airelle Besson ©© Thierry Giard - 2016
Benjamin Moussay ©© Thierry Giard - 2016
Fabrice Moreau ©© Thierry Giard - 2016
Isabel Sörling & Airelle Besson ©© Thierry Giard - 2016
Benjamin Moussay, Airelle Besson, Isabel Sörling & Fabrice Moreau ©© Thierry Giard - 2016

Théâtre de Caen - Jazz dans les Foyers
samedi 16 janvier 2016.
Airelle Besson Quartet : Airelle Besson : trompette, compositions / Isabel Sörling : voix, effets / Benjamin Moussay : piano, Fender Rhodes, synthé basse, effets / Fabrice Moreau : batterie