Cinquante-quatrième étape

Je suis pérégrin ! Tel est le slogan. Nous luttons contre les années. Salopes ! 2016 la nouvelle a déjà tué Paul Bley. Elle a aussi flingué Boulez. Là, en toute honnêteté, je suis triste pour lui par simple politesse. Idem pour René Dion. Mais Paul, s’il vous Bley, c’est pas sérieux. C’est la dèche ou quoi ? L’étonnant avec le décès du pianiste canadien réside dans la couverture de l’événement. Les médias en ont parlé juste pour ne rien dire. Comme si cet esthète du clavier n’avait pas assez secoué le code du piano jazz ! Décidément, la discrétion ne paie pas et la camarde est sans vergogne. L’enfoirée. On s’inquiète et l’attente a un sale goût. Et voilà que Bowie David est lui aussi fauché. Alors là, nous ne sommes vraiment très en colère, et puis sidéré. Là, dans l’instant, nous doutons encore. Même Chevènement est encore vivant ! Et Giscard aussi, et Chantal Goya, et la voisine du dessus ! À quoi ça rime ? L’époque n’est-elle pas assez désespérante qu’il faille encore abattre ceux qui la ponctuent d’éclairs de génie ? A ce propos, l’on entend dire souvent que le commun des mortels subit son époque alors que les génies la marquent. Il nous semble que David Bowie, lui, a façonné la sienne en l’illuminant d’abord là où l’obscurité de mœurs réglées sur un passé décomposé étouffait la veine créatrice. Imaginez un peu Ziggy Stardust et Aladdin Sane dans la bonne conscience d’une France pompidolienne qui n’avait même pas encore voté la loi Veil. Et nous ne vous parlons pas de la tête de nos parents quand ils virent la pochette du vinyl « The man who sold the world  »… Déjà qu’on avait plus les colonies, hein… Si beaucoup ont cru alors au passage éphémère d’une outrance superficielle tant la multiplicité des postures, Rock‘n’Roll ou non, désarma son temps en le devançant, aujourd’hui, force est de constater que l’empreinte est réelle et profonde dans l’imaginaire commun. Bien plus qu’il n’y parut sur le moment, chaque phase de sa carrière éclaira son temps d’une originalité contraire. Mais ce déplacement, ce brouillage des lignes et leur régénération, n’appartient-il pas en propre à l’Artiste en performance ? Et si l’on s’accorde pour encenser le musicien dont les mélodies originales éclaboussèrent son siècle, l’on ne doit aucunement omettre le travail artistique pluridisciplinaire qui sous-tendit leur création. En résidence parmi nous, Bowie a donné une leçon de liberté à ses condisciples terriens avec une énergie créatrice d’autant plus rare qu’elle était protéiforme. Le jazz avait naturellement sa place dans cet univers illimité et nous ne nous étendrons pas sur les multiples collaborations qu’il noua au fil des années jusqu’à Blackstar. L’on notera simplement qu’à l’instar de Miles, il ne fut jamais là où on l’attendait, survécut assez longtemps à bien des excès avant d’achever, un peu trop tôt, un parcours qui demeure aussi intrigant qu’ouvert sur un futur que d’autres accompliront (peut-être).

Post Hard Bop

Au fait, le 16 janvier, jour qui vit en 1778 la France reconnaître l’indépendance de Etats-Unis, à l’époque un petit pays prometteur pour l’avenir du jazz, nous étions au Pêle Mêle Café (Montmerle sur Saône) où le Chien à 3 Pattes organisait un concert de David Bressat avec sa rythmique habituelle, Charles Clayette à la batterie et Ben Guyot à la contrebasse, augmenté pour l’occasion d’Eric Prost au ténor et Aurélien Joly à la trompette. Sur un répertoire allant de la chanson française à Jacky McLean, le tout entrelardé de compositions du pianiste, le quintet proposa un jazz post hard bop auquel David Bressat sait donner du lustre avec une patte particulière. Les interventions de l’excellent trompettiste et du non moins bon ténor donnèrent un brillant supplémentaire à cette musique alerte et vivifiante. Devant un public nourri, en deux sets, David Bressat mena les débats avec l’autorité naturelle qu’on lui connait. L’on apprit au passage qu’il apprécie la musique de Michel Legrand mais pas forcément le pianiste… Doit-on avouer que nous sommes d’accord avec lui ?

Dans les oreilles
Hélène Labarrière & Hasse Poulsen - Busking

Devant les yeux
Bernard Maris - L’homme dans la guerre