A Vaulx Jazz, pour le pérégrin, c’est comme le printemps. C’est plein d’espoir, de surprises. Ça passe ou ça lasse, mais cela ne laisse jamais indifférent. Première soirée sous le signe du nomadisme.
Cinquante-neuvième étape
Le dix mars 1903 naissait Bix Beiderbecke tandis qu’en -241 Rome mettait une pâtée décisive à Carthage à la bataille des Îles Égades achevant ainsi la première guerre punique (qui fut amère, évidemment). Le dix mars 2016 au festival A Vaulx Jazz (29ème du nom), Paolo Fresu, Trilok Gurtu et Omar Sosa s’amusèrent sur scène en fin de soirée. Le facétieux cubain aux claviers et l’hypnotique percussionniste indien allié au chantre de la coolitude sarde réunirent leurs différences pour la bonne cause, celle de la musique. Du moins sur le papier, voyez-vous. Dans les faits, sans être insupportable, le trio dévoila trois fortes personnalités (jouant sur scène à cinq mètres les unes des autres afin d’éviter toute bousculade entre les égos) qui utilisèrent parfaitement leurs savoirs musicaux respectifs au profit d’un univers mélodique contrasté. Comme ils le dirent parfaitement à Alex Dutilh lors de l’Open Jazz France-Musiquien d’avant concert, il fut beaucoup question d’improvisation et d’un genre particulier qui a souvent cours dans ce type de rencontre au sommet et que l’on pourrait nommer bouclage à la hâte, genre « Viens par ici que je te ponde quelques mélodies simplettes, pour le reste, on fera le show. » Et c’est ainsi que l’on assista à un match percussif (Cuba 1 : Inde 1) enchainé avec un duel percusso-onomatopien (Cuba 2 : Inde 2). L’arbitre sarde, lui, bugla régulièrement dans la direction souhaitée et trompetta épisodiquement (pour gagner des Miles ?) en bon berger sensible au bien-être de ses ouailles. Dans l’euphorie de la fin de partie, galvanisé par l’ambiance Omar sosa (du verbe saisir, version dysleksihk) l’auditoire et tenta de le faire chanter, insista même, sous le regard amusé de ses confrères, avec un semblant de thème d’une absolue pauvreté qui résuma de facto la pauvreté thématique du concert dans son ensemble. Une belle fumisterie ou une indéniable réussite de la musique business, je vous laisse choisir. Trois grands artistes pour si un petit résultat, ce fut assurément un beau gâchis. Dommage.
’Round about 20 h 30, Aka Moon, le trio belge vingtenaire et plus (en mode quartet), avait décidé de tailler des croupières à Domenico Scarlatti (1685-1757), compositeur prolixe et très sérieusement excentrique, en réinterprétant quelques unes de ses 555 sonates, sonates qui, soit-dit en passant, sont d’une exceptionnelle qualité ; leur inventivité mélodique et rythmique, le sens aigu du contraste du maître, ont, à son époque (celle de Bach et Händel), renouvelé le genre. S’en prendre de la sorte à un aussi serial musical killer, le pari était à première vue osé. Mais Aka Moon (Fabrizio Cassol, Michel Hatzigeorgiou & Stéphane Galland), augmenté de Fabian Fiorini, est un combo qui ose en général. Ils ont raison d’ailleurs et, fort de leur expérience, ils ont livré, délivré, asséné, un concert festif autant que virtuose avec une aisance et une connivence confondantes. Le public l’a instantanément compris et à explicitement partagé son enthousiasme avec ces musiciens qui démontrèrent une fois de plus que, quel que soit le matériau originel, les voies de la création improvisée sont toujours pénétrables dès lors que l’exigence et la musicalité font partie du jeu. À l’opposé de ce qui suivit, une belle réussite pour l’intégrité artistique ou un cuisant échec pour le nivellement par le bas. Je vous laisse choisir.
Dans nos oreilles
Fresu / Galliano / Lundgren - Mare Nostrum II
Sous nos yeux
Truman Capote – La traversée de l’été