Une revue de disques où il est question de Kenny Barron Trio, de Scott Hamilton et Karin Krog, de Vijay Iyer et Wadada Leo Smith, de Dave Liebman et Richie Beirach.
Quatre disques au menu :
Kenny Barron (Philadelphie 1943) a été longtemps un efficace accompagnateur, que le temps a poussé sur le devant de la scène, les pianistes capables de jouer avec ferveur les standards devenant rares. On se souvient de ses duos avec Stan Getz ou Charlie Haden. Son récent concert au New Morning aura été un grand moment, d’après les connaisseurs. Il est ici accompagné d’un duo de musiciens discrets et efficaces, d’ailleurs renommés. Le répertoire est essentiellement composé d’originaux du lideur et de deux standards, de Thelonius Monk et de Charlie Haden. La musicalité et l’originalité des solutions trouvées dans l’improvisation mérite une oreille attentive, en plus du simple plaisir d’écouter une musique vive, fluide, qui pourrait ne jamais s’arrêter, glissant sur le rythme et embellissant les accords.
Scott Hamilton (Providence, 1954) a décidé de reprendre le cours du jazz au début des années 40, avant le be-bop. Il a vu passer, impavide, le free, le jazz-rock et tous les jazz qui ont suivi. Avec le temps, il est devenu comme le survivant d’un passé auquel il n’avait pas appartenu biologiquement, mais esthétiquement. Karin Krog (Oslo, 1937) est peu connue en France -on l’a sans doute plus écouté dans les disques qu’elle a faits avec Warne Marsh et Red Mitchell. Son style, qui a parfois été aventureux, s’accorde très bien avec celui du saxophone ténor, la voix restant musicale, malgré quelques défaites du temps. Ils sont accompagnés par une excellente section rythmique d’où l’on peut remarquer le pianiste.
C’est un disque d’une musique devenue intemporelle et qui pourra rappeler efficacement ce qu’a été le jazz dans ses principes sentimentaux : souigne et décontraction.
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Le piano et la trompette sont deux instruments qui vont très bien ensemble. Depuis King Oliver et Jelly Roll Morton (1924), Louis Armstrong et Earl Hines dans le fameux Weather Bird (1928), on ne compte plus les duos : Doc Cheatham et Sammy Price ; Rubby Braff et Ellis Larkin ; Dizzy Gillespie et Oscar Peterson, quelques exemples pris au hasard de ma discothèque.
Le piano, instrument qui marque tout à la fois le rythme, entretient la basse et construit l’harmonie, permet à la trompette, qui a certes un son qui porte, mais de peu d’amplitude et reste un instrument de peu de possibilités, de jouer librement. Dans les duos, chaque musicien peut ainsi s’exprimer à son aise sans déprimer/opprimer l’autre, le jeu étant de laisser l’imagination faire la rythmique absente.
Le duo de Wadada Leo Smith (Leland, Mississipi, 1941) et Vijay Iyer (Albany, New York, 1971) ne manque pas à cette règle. Ce sont deux expérimentateurs, qui se lancent à la poursuite du mystère de l’autre. Il en résulte une musique ouverte ; le jeu de Vijay Iyer, tantôt pulsatile, tantôt plus étale dans l’harmonie, comme son utilisation de l’électronique, permet un jeu varié au trompettiste, qui utilise ainsi de façon exaspérée la sourdine Harmon. La musique vibre, souvent âprement, jamais ennuyeuse, mais sans doute peu séduisante au premier abord. C’est que le cosmos n’est pas simplement un longue mélodie, il s’y trouve aussi des passages dangereux, où il faut être hardis.
Les duos saxophone-piano sont plus rares et récents. Notons Stan Getz / Kenny Barron ; Ornette Coleman / Joachim Kühn ; Paul Desmond / Dave Brubeck. En compagnie, on le trouvera plus souvent avec un contrebassiste (Frank Lowe / Bernard Santacruz ; Warne Marsh / Red Mitchell) ou un guitariste (Zoot Sims / Joe Pass). Au reste, le saxophone joue volontiers seul : Coleman Hawkins (Picasso 1948) , bien sûr, Sonny Rollins, qui pratique le solo marathonien, Steve Lacy, qui s’en était fait une habitude, voire Roscoe Mitchell ou Anthony Braxton,.. C’est que le saxophone par son amplitude sonore et les possibilités qu’il offre de varier le son, se trouve sans doute à l’étroit face à la machine complexe du piano.
Richard Beirach (New York 1947) crée un cadre harmonique sans conviction rythmique sur lequel improvise élégamment Dave Liebman (New York 1946), avec un beau son bien posé, aussi bien au ténor comme au soprano -et à la petite flûte habituelle-, dans un style finalement assez éloigné de celui dans lequel on a l’habitude de l’entendre. Le résultat est plaisant et correspond au titre de l’album, un paysage sans aspérité, une musique bien faite, mais assez anodine, une sorte de musique d’accompagnement pour agrémenter une solitude à deux.
Wadada Leo Smith et Dave Liebman ont sensiblement le même âge, mais l’un s’est adjoint un pianiste qui a connu les mêmes expériences que lui et il en résulte un disque qui distille un léger ennui, voire de une certaine tristesse -si fréquente aujourd’hui dans de nombreux disques ; ce qui m’a ainsi découragé d’aller écouter en direct Avishai Cohen- un disque bientôt oublié ; l’autre, plus aventureux, a échangé avec un jeune pianiste, qui pratique une musique originale, et il en est résulté un disque, sinon enthousiasmant, du moins qui ne laisse pas indifférent.
Kenny BARRON Trio : "Book of Intuition"
> Impulse - 00602547701299 / Universal
Kenny Barron : piano / Kiyoshi Kitagawa : contrebasse / Johnathan Blake : batterie
01. Magic Dance (Kenny Barron) / 02. Bud Like (Kenny Barron) / 03. Cook’s Bay (Kenny Barron) / 04. In The Slow Lane (Kenny Barron) / 05. Shuffle Boil (Kenny Barron) / 06. Light Blue (Thelonious Monk) / 07. Lunacy (Kenny Barron) / 08. Dreams (Kenny Barron) / 09. Prayer(Kenny Barron) / 10. Nightfall (Charlie Haden) // Enregistré aux Studios Avatar de New York les 3 et 4 juin 2015.
Scott HAMILTON – Karin KROG : "The best things in life"
> Stunt - STUCD 15192 / UVM (parution le 22/04/2016)
Karin Krog : voix / Scott Hamilton : saxophone ténor / Jan Lundgren : piano / Hans Backenroth : contrebasse / Kristian Leth : batterie
01. The Best Things In Life Are Free (Desyiva-Brown-Anderson) / 02. I Must Have That Man (McHugh-Fields) / 03. Will You Still Be Mine ? (Dennis) / 04. How Am I To Know (Getz-Gullin-Hendricks) / 05. Don’t Get Scared / 06. Ain’t Nobody’s Business (Grainger-Robbins) / 07. We’ll Be Together Again (Fischer-Laine) / 08. Sometimes I’m Happy (Youmans-Caesar-Krog) / 09. What A Little Moonlight Can Do (H.M.Woods) / 10. Shake It But Don’t Break It (E.Garner) // Enregistré à Copenhague (Danemark) les 2, 3 et 5 juillet 2015.
Vijay IYER – Wadada Leo SMITH : "a cosmic rhythm with each stroke"
> ECM - 476 9956 / Universal (parution : 18/03/2016)
Wadada Leo Smith : trompette / Vijay Iyer : piano, dispositif électronique
01. Passage (Iyer) / A cosmic rhythm with each stroke (suite, 02 à 08) : 02. All becomes alive (Iyer - Smith) / 03. The empty mind receives (Iyer - Smith) / 04. Labyrinths (Iyer - Smith) / 05. A Divine Courage (Iyer - Smith) / 06. Uncut Emeralds (Iyer - Smith) / 07. A Cold Fire (Iyer - Smith) / 08. Notes on Water (Iyer - Smith) / 09. Marian Anderson (Smith) // Enregistré au Studio Avatar, New York, du 17 au 19 octobre 2015.
Dave LIEBMAN – Richie BEIRACH : "Balladscapes"
> Intuition - INT 3444 2 / Socadisc (parution 10/05/2016)
Dave Liebman : saxophones soprano et ténor, flûte / Richie Beirach : piano
01. Siciliana (Bach) / 02. For all we know (F. Coots) / 03. This is new (K. Weill) / 04. Quest (Liebman-Beirach) / 05. Master of the Obvious (Liebman) / 06. Zingaro (Jobim) / 07. Sweet Pea (W. Shorter) / 08. Kurtland (Liebman-Beirach) / 09. Moonlight in Vermont (K. Suessdorf) / 10. Lazy Afternoon (J. Moross) / 11. Welcome - Expression (J. Cotrane) / 12. DL (Beirach) / 13. Day Dream (Strayhorn-Ellington) // Enregistré en Allemagne en avril 2015.