Festival printanier attendu chaque mois de mai, Jazz in Arles a fêté sa 21ème édition et a mis à l’honneur cette année la clarinette et le saxophone...
Voilà un festival printanier attendu chaque mois de mai qui avec tambours mais sans trompette a fêté sa 21ème édition et a mis à l’honneur cette année la clarinette et le saxophone. Organisé par Jean-Paul Ricard (fondateur et président de l’AJMI d’Avignon) et Nathalie Basson (coordinatrice générale de l’Association du Méjan), il s’est tenu en deux parties du 11 au 21 mai avec une pause le weekend.
Tandis que le mercredi 11, le duo Schwab - Soro investissait la médiathèque d’Arles à 18 heures en concert gratuit, les autres soirées dont Dreisam (en concert gratuit également le jeudi 12 mai à 18 heures) étaient programmées comme d’habitude dans la très belle Chapelle du Méjan le long du Rhône avec une acoustique et un piano excellents.
Mercredi 11 mai, c’est donc le duo Schwab Soro qui ouvre les festivités. La médiathèque est pleine à craquer pour écouter Raphael Schwab à la contrebasse et Julien Soro au saxophone alto. Ils ont été sélectionnés dans le cadre du dispositif Jazz Migration 2016. Déjà réunis dans Ping Machine du guitariste Fred Maurin et impliqués aussi ailleurs (Raphael Schwab dirige en particulier son propre quartet Big Four), l’idée de ce duo atypique est née naturellement en 2014. Un très beau concert qui a repris certains morceaux de leur dernier disque intitulé sobrement SCHWAB SORO ( « Carré », « Les Gens », « Valse Farandole »...) mais aussi d’autres compositions à paraître dans un prochain projet avec des standards de Charlie Parker, un superbe et mélancolique « Jeroma » de la composition de Schwab, une reprise de « Smoke gets In Your Eyes » particulièrement applaudie tout comme « Solar » de Miles Davis. Et j’en oublie tant ils ont été généreux. Un concert plein de délicatesse et de poésie muette !
Jeudi 12 mai, DREISAM a investi la Chapelle du Méjan pour un concert qui fera date dans mon panthéon avec un trio épatant : Nora Kamm aux saxophones, Zaza Desiderio à la batterie et Camille Thouvenot au piano forment le triangle parfait. Tous les trois issus de pays différents, Allemagne , Brésil et France (Nîmes) font émerger un jazz audacieux et enlevé qui a fait vibrer la chapelle acquise dès le nouveau premier morceau intitulé "Kepler" comme la nouvelle étoile. "Leto Oro" nous a électrisés tout comme "For Michel" ou "Kouclamou" avec la joute finale saxophone batterie ! Beaucoup de nouvelles compositions donc, après le remarqué premier disque encensé par la critique Source dont les morceaux "Corazon" et "Déménagement" en live étaient encore meilleurs ! Comme les deux rappels sur "Realidade" et "Bergerio". Nora Kamm a un jeu très expressif et plein de grâce, ses bras sont comme des ailes de papillon et le son qu’elle tire de son alto et soprano est exaltant. Camille Thouvenot équilibre cette exaltation constamment, tandis que Zaza Desiderio a tout du feu qui couve ou jaillit pour nous enflammer soudainement. Une très belle découverte à ne pas manquer si Dreisam passe dans votre région !
La semaine suivante, 5 soirées royales à la Chapelle du Méjan… pour la modique somme de 40 euros si vous preniez le pass ! Aucune excuse pour louper les invités prestigieux de cette superbe édition !
Un trio acoustique de rêve mardi 17 mai avec Louis Sclavis aux clarinettes, Dominique Pïfarély au violon et Vincent Courtois au violoncelle. Le disque enregistré pour ECM paraitra prochainement avec de superbes compositions de chacun, comme "Mont Myon" de Louis Sclavis (la montagne du Jura que Louis admire chaque jour de chez lui), "Asian Fields" ou "Golden Door" (les titres sont empruntés aux photos qu’il fait), "Fifteen Weeks" de Vincent Courtois (admirable jeu de questions réponses entre les 3 protagonistes) ou encore "Quand Tombe le Masque" de Dominique Pifarély. Du jazz de chambre terriblement captivant et très applaudi ! Je vous invite à relire la chronique d’Alain Gauthier lors de leur concert lors de leur concert à l’Atelier du plateau fin 2015 ! (Lire ici...)
Les mots manquent pour décrire la soirée du mercredi 19 mai ! Beauté, bonheur, béatitude, public en apesanteur pour écouter dans un silence incroyable et recueilli le double concert de Jean Marc Foltz aux clarinettes et Stephan Oliva au piano. La pianiste Chris Davis avait dû annuler sa venue pour un concert solo en première partie, mais nous n’avons pas perdu au change ! Le duo a tout d’abord joué sa dernière création Gershwin qui m’a tiré les larmes des yeux... (voir la critique de Yves Dorison dans la rubrique Vitrine de Disques de mai avec un OUI ! on aime bien mérité). En seconde partie, nous avons écouté Visions Fugitives paru en 2012, dont le titre tiré de la version de Prokofiev, montre bien toutes les connexions entre les sources d’inspiration de ces deux musiciens ( « Visions Fugitives », « Cinq Préludes de Danse », « Naima », improvisations sur des pièces pour piano et clarinette d’Alban Berg, de Brahms et Francis Poulenc) mais aussi « Tango Indigo » tiré d’"Itinéraire Imaginaire" de Stephan Oliva. Beau, beau, beau...
Instant Sharings du pianiste Bruno Angelini, c’était jeudi 19 mai. Pour moi la seconde fois en quelques semaines après Vitrolles, mais toujours la même envie d’écouter ce quartet passionnant avec le grand Claude Tchamitchian à la contrebasse, le magnifique Régis Huby au violon (et effets électroniques) et le sublime Edward Perraud à la batterie. Notre collègue Pierre Gros avait déjà dit tout le bien qu’il pensait du disque sorti en mai 2015 (lire ici...) et en live, c’est encore mieux bien sûr ! Ce qui est frappant, c’est la symbiose de ces quatre fortes personnalités (tous leaders d’autres formations) qui à aucun moment ne rentrent en conflit. Ils partagent leurs riches expériences avec une facilité déconcertante et le titre Instant Sharings est tout à fait adéquat ! Les archets chantent de concert ou non, Huby manie l’électronique les yeux fermés et vous remue les tripes. Perraud est à l’écoute constante et interagit instinctivement à sa façon toujours surprenante. Tchamitchian est royal de maîtrise et Angelini mène tout cela de derrière son piano à sa manière toujours douce. Devant la scène, une dessinatrice croque les musiciens avec talent...
Formidable Géraldine Laurent en quartet dans At Work vendredi 20 mai ! Géraldine, c’est pour moi un coup de poing dans le ventre quand je l’ai entendue la première fois au Tremplin Jazz d’Avignon en 2011 avec Fabrizio Bosso, Aldo Romano et Henri Texier ! Alors, forcément, je la suis de près... avec 3 comparses comme Paul Lay au piano, Donald Kontomanou à la batterie et Yoni Zelnik à la contrebasse, ce ne pouvait qu’être excellent et ce fut le cas, quoique j’aurais attendu peut-être un peu moins de retenue et plus de lâcher-prise... ce qui s’est passé dans le second set ! "Odd Folk" et "Petite Suite", puis "At Work" avec un sublime solo de batterie, "N’-C Way" et le magnifique "Another Dance" avant un second set plus déjanté et 3 rappels qui ont enchanté un public conquis d’avance ! "Chora Coraçao", reprise de Jobim, est magnifié par la saxophoniste alto ! Beaucoup d’intériorité dans la musique de Géraldine, accompagnée en cela par Yoni Zelnik , alors que Paul Lay et Kontomanou équilibrent le quartet dans l’autre sens. Tous les registres sont ainsi joués, de la joie à une certaine mélancolie... du grand jazz !
Et enfin la cerise sur le gâteau avec le concert des 3 P comme on les appelle, pour clôturer en beauté ce festival Jazz In Arles samedi 21 mai avec un énorme succès ! Spectacle affiché complet et sentiment d’assister à un concert inoubliable ! Car avec Michel Portal l’éternel jeune homme qui fête ses 80 printemps cette année, Émile Parisien et Vincent Peirani , c’est un tiercé gagnant ! Bien sûr, on connait déjà nombre de compositions jouées en duo à géométrie variable ou trio lors de cette soirée, tirées en majorité des derniers disques des deux plus jeunes. Mais c’est toujours un ravissement d’entendre par exemple "3 Temps pour Michel P." ou le P. joue à se laisser deviner...(Portal, Petrucciani, Polnareff, Picolli et même pourquoi pas Platini ???), "Egyptian Fantasy" de Sydney Bechet, "Schubertauster" et "Dancers In Love" de Duke Ellington invoqué par Portal ("Duke, reviens !"). Portal amène une réinterprétation de "Max Mon Amour" et un "Cuba Si Cuba No" plein d’humour sur un voyage jamais réalisé à Cuba malgré les billets payés. L’écoute mutuelle est intense, même quand l’un d’entre eux ne joue pas. Ce soir-là, la frontière entre générations avait disparu et Portal retrouvait ses 30 ans !
Au final, une 21ème édition très fréquentée et très applaudie, pour écouter autant de jeunes promesses que d’anciens confirmés et où toutes les générations ont encore démontré l’attractivité énorme que cette musique exerce quand les choix sont judicieusement faits ! Merci à Nathalie Basson, Jean Paul Ricard et Camille Gibily pour leur accueil et rendez-vous l’année prochaine !