Respire ! Où le pérégrin va sniffer les charentaises...
Soixante-treizième étape
Respire un grand coup. Vive la Charente libre ! Le jazz est là. Que dis-je ! L’esprit du jazz s’invite à l’abbaye de Puypéroux et baigne le spectateur dans une ambiance de foin odorant (de pluie, un peu, de fraîcheur un tantinet) et d’excellence musicale ; excellence, soit dit en passant, qui n’a plus sa chance dans les grandes messes de masse où l’on vend du loisir culturel à la louche comme d’autres vendent des pinces à linges et que l’on appelle encore festivals de Jazz afin de conserver (allez savoir) une vague légitimité, un semblant d’exception culturelle à la française ou encore une image identitaire (essentiel, l’image) écornée depuis belle lurette. Merde ! Voilà que nous faisons notre Marcel… Pour faire court, le Respire Jazz Festival, huitième édition, est trop bio pour être faux. Ça milite dur dans les campagnes… Il y a même des enfants qui jouent. Bien évidemment, les jazzmen sont perchés et les organisateurs Perchaud et très professionnels. Ce n’est pas parce que les chemins menant à ce jazz-là sont vicinaux que ce doit être une kermesse paroissiale ou la fête à Neuneu.
En ce 1er juillet 2016 qui vit décéder Yves Bonnefoy, poète au long cours qui illumina grandement de ses vers notre vingtième siècle, c’est Pierre de Bethmann, accompagné des fidèles Sylvain Romano et Tony Rabeson qui ouvrit le festival. Un trio régulier, de nos jours, c’est un luxe que l’on sait apprécier. En interprète émérite d’un répertoire éclectique (Monk, Fauré, Trenet, et j’en passe), Pierre de Bethmann et ses acolytes firent de la musique jazz. De la belle musique, inventive en diable, aussi alerte que savante, chantante, façonnée à l’aune d’une expérience acquise de scène en scène et dont le rendu claque comme une évidence, une de ces musiques qui fait vibrer les pavillons de public et lui procurent un sentiment de satiété. Si Bacchus n’était néanmoins pas vraiment de mise, Jean Sébastien, lui, s’immisça de temps à autre au gré d’une transition, suivi (c’est du moins notre avis) de quelques gouttes debussiennes, voire satiesques. Hélas, la pluie se mêla à l’affaire, interrompit abruptement le concert peu avant sa fin et généra un léger manque chez un auditoire déjà conquis par la qualité du trio. Cependant, plus encore qu’au soleil couchant, cela sentait bon le foin. Sans le soleil pour témoin.
En seconde partie de soirée, Lou Tavano et ses musiciens (Alexey Asantcheef, Rhodes, Quentin Ghomari, trompette), Maxime Berton, saxophones, Alexandre Perrot, contrebasse, Ariel Tessier), batterie, durent se replier sous un semblant de préau dévolu aux jam sessions. Malgré des conditions techniques précaires, avec l’assentiment d’un public courageux et complice, la chanteuse déroula son dernier album, paru chez ACT, avec un sens de l’entertainment plutôt convaincant au sein duquel pointait, dans les frimas charentais, l’humour et la juste émotion. Le concert fut cependant un peu trop proche du (très beau) disque à notre goût, ce qui n’ôta en rien à Lou Tavano et ses commensaux le mérite qui leur revient, ni le brio musical avec lequel ils exécutèrent leur répertoire car ils constituent un groupe véritable. Et oui, encore une formation régulière ! En outre, Lou Tavano, visage de petite pomme et belle voix médium, eût le bon goût de lire un extrait d’Andreï Makine à l’attention du public afin d’éclairer son propos musical, propos très personnel, exposé avec retenue et sensibilité. De la musique et des mots, quelle orgie, mes aïeux ! Il va de soi, toutes choses considérées, que ce fut un beau moment dû au talent des artistes autant qu’à la saveur du lieu. Finalement, la météo fut complice et l’abbatiale Saint Gilles.
Le lendemain, 2 juillet, jour qui vit cent ans auparavant la Méduse faire naufrage (j’en reste baba) et Ray Brown lâcher les cordes (2002), Bojan Z et Julien Lourau entamèrent sous le soleil (évidemment) couchant (dans le foin) une soirée bâtie sur une promesse de contraste. N’ayant pas eu le loisir d’écouter récemment ces artistes, nous étions somme toute dans l’expectative mais fûmes rassurés dès les premières mesures quant au plaisir que nous pourrions prendre dans cette frisquette atmosphère. Les deux ont de la bouteille, ils le démontrèrent à l’envi, et donnèrent à ouïr une musique aisément compréhensible pour le commun des spectateurs. Certes, si nous aimons les Balkans, nous ne sommes pas de ceux qui supportent longtemps ces rythmes régionaux. Nous eûmes fort heureusement d’autres moments musicaux à nous mettre entre les oreilles et, au final, nous appréciâmes le duo à sa juste valeur, celle qui réunit deux artistes émérites au service de l’idiome musical qui nous émeut.
Promesse de contraste écrivions-nous ci-dessus ? Oui avec The watershed pour clore le programme officel du jour. Christophe Panzani, Pierre Perchaud, Tony Paeleman et Karl Jannuska, tous complices, pointèrent leur nez avec une idée de liberté et aucune partition. Non ? Si. Ils n’étaient pas les premiers à emprunter cette voie mais ne déméritèrent pas. D’abord parce qu’ils sont bons, ensuite parce qu’ils se connaissent et que les larrons en foire ne s’en laissent pas compter. Pour nous quinquagénaires bien entamés, ce fut un retour vers le futur et l’on vit ressurgir des limbes le Weather Report façon 1974, la fusion di méolienne, les nappes zawinulesques et autres références d’époque épique où le soleil était californien et parricide, trop enclin à la luxure (non, pas trop), à l’herbe et à la chimie. Sympathique et groovy donc bien que ne laissant que peu de place aux soli et définissant par là même les limites de l’exercice ; l’absence de contraintes est, de loin, la plus périlleuse des contraintes. Alors quoi ? Un son de groupe assumé peut-il se départir d’une once d’égocentrisme musical ? C’est la question que ne se posait pas les olibrius, genre son of bitches brew on the corner, des seventies qui mirent à mal la fourmilière et ses travailleuses. A posteriori comme au jour d’aujourd’hui en cet instant scriptural, nous dirions que The Watershed est un groupe en devenir qui devrait assurément dépasser la camaraderie afin d’aller tutoyer les seigneurs du bordel créatif là où ils excellent : dans la surprise et l’incandescent.
Dans nos oreilles
Natalie Merchant – Live in concert
Sous nos yeux
Dominique Sampiero – Le rebutant