Cette manifestation avignonnaise attire de plus en plus de monde après le festival de théâtre, et à juste titre : belle programmation dans un cadre superbe, deux soirées de concours à l’accès gratuit avec une ambiance festive et enthousiaste...
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Tout passionné de jazz essaie d’être présent à Avignon les premiers jours d’août pour avoir le privilège de déambuler dans le Cloître des Carmes, endroit fabuleux pour écouter d’excellents musiciens. Les soirées y sont souvent très douces sous les étoiles avec une qualité à la fois visuelle et auditive exceptionnelle sur les gradins. Et cette année, on y fêtait le 25e anniversaire ! Avec une soirée de moins en raison d’une baisse importante de subventions, la ténacité de l’équipe n’a pas diminué, bien au contraire ! Et autour des deux soirées de sélection dont l’entrée est libre, avec un président de Jury nommé Kyle Eastwood, il y a eu trois superbes soirées que voici :
Samedi 30 juillet :
La jolie et gracieuse Champian Fulton, pianiste et chanteuse de trente ans est bien connue à New-York et curieusement moins en France. C’est en trio qu’elle se produit ce soir-là avec deux français que nous connaissons déjà bien : Mourad Benhammou à la batterie et Gilles Naturel à la contrebasse. L’une des influences vocales majeures de Champian a été Dinah Washington, en particulier son album For Those in Love qu’elle écoutait en boucle, tandis que Sarah Vaughan est également rapidement devenue l’une de ses favorites. Parmi les pianistes qui l’ont influencée, elle cite Red Garland, Wynton Kelly, Erroll Garner, Bud Powell, Hampton Hawes et Sonny Clark qui ont baigné son enfance grâce à son père le trompettiste Stephen Fulton. Elle vient de sortir un nouveau disque After Dark en début d’année qui reprend les interprétations de son héroïne, Dinah Washington. Cela donne un résultat à la fois sophistiqué et très mature, totalement naturel et extrêmement fin tant au niveau de sa voix proche de celle de Sarah Vaughan, que de son toucher pianistique très dynamique façon Eroll Garner. Elle est mise en valeur et bien entourée par le jeu de Mourad Benhammou tout à fait accordé à son style, qui nous a gratifiés de solos époustouflants. Idem pour Gilles Naturel, le très demandé sideman. Vous me direz qu’il n’y a rien de neuf là-dedans, mais quand des reprises sont parfaitement jouées, le plaisir est grand, et à mon humble avis, Champian Fulton rivalise largement avec les coqueluches actuelles comme Sarah McKenzie , Diana Krall ou Mélody Gardot ! Un concert qui a beaucoup plu, interrompu quelques instants par une petite averse qui n’a pas découragé le moins du monde le public conquis par cette étoile méritant un plus large public.
Dimanche 31 juillet :
La température a fraîchi après un gros orage dans l’après-midi et l’angoisse qui l’a accompagné : serait-il terminé à temps pour laisser la place aux musiciens ce soir-là ? La réponse fut heureusement affirmative, et ceux qui avaient omis d’amener un bon pull se virent distribuer des plaids pour se couvrir. Et c’est donc le Thibault Gomez Quintet vainqueur de l’an passé qui commença la soirée. Né sous l’impulsion du pianiste Thibault Gomez et du tromboniste Robinson Khoury, il est également composé de Pierre-Marie Lapprand aux saxophones, d’Etienne Renard à la contrebasse et de Benoit Joblot à la batterie. Un quintet qui nous avait tous impressionnés au Tremplin 2015 par sa maturité et sa cohésion, qui ne se sont pas démenties avec à nouveau de très belles compositions aux titres tarabiscotés comme Rhinocéros Féroce de Benoit Joblot, Les Escargots n’ont pas d’Oreilles de Thibault Gomez ou Voyons Monsieur Sortez de chez Moi et Rentrez chez Vous ! Ils alternent d’anciens morceaux comme La Montée des Ballons avec des nouveaux comme le très applaudi Crapauduc. Ces jeunes gens ont autant d’imagination dans les titres que dans l’écriture où chacun amène un plus avec des chorus chaque fois formidables et j’ai un faible pour le talent certain de Robinson Khoury. Par contre, je ne qualifierai pas leur jeu de la plus pure tradition hard-bop comme il était dit dans le dépliant du festival. C’était peut-être en rapport avec ce qu’ils ont joué l’an passé. Cette année, c’est innovant et bien plus recherché et étudié ( piano préparé, recherche d’ambiances ) : cela devrait donner un très beau résultat sur le disque qui va être enregistré aux Studios la Buissonne prochainement.
Le très attendu Quartet de la trompettiste Airelle Besson entre ensuite en scène. Avec elle, Benjamin Moussay au piano et claviers, Fabrice Moreau à la batterie et Isabel Sörling au chant. C’est leur dernier concert après une longue tournée internationale commencée en mai et qui curieusement se termine dans la fraîcheur d’un été avignonnais. Comment le dire ? J’ai adoré le disque Radio One qui a tourné longtemps en boucle chez moi, mais je suis chaque fois un peu déçue par le concert en live... J’ai préféré écouter les yeux fermés la plupart du temps pour bien sentir cette musique séduisante. Celle-ci commence avec des variations sur le titre éponyme et continue avec le très joli Neige joué dans le duo d’Airelle avec le guitariste Nelson Veras (Disque Prélude). Suivent All I Want, Candy Parties et La Galactée, superbe composition où l’on flotte en apesanteur avec un duo batterie/fender infernal se terminant sur un solo de trompette avec des notes très proches du titre Radio One. Dans Around the World, le piano fait une intro bien plus développée que dans le disque, où Benjamin Moussay montre une fois de plus l’étendue de son talent. Le public se réchauffe en écoutant No Time to Think et applaudit à tout rompre après le magnifique solo de batterie de Fabrice Moreau. L’ambiance se réchauffe avec le rappel sur Titi. Un concert jazz plutôt pop, très contrasté, aux ambiances absolument oniriques avec quatre personnalités riches, car la chanteuse suédoise, moins connue que ses comparses, est également une tête chercheuse. Sorte de sirène folk, elle multiplie les projets et explore tous les styles depuis qu’elle est arrivée en France. A suivre de près donc.
Lundi 1er août et mardi 2 août :
Il y a six groupes en lice comme chaque année, après une sélection parmi cent-dix formations européennes : à noter d’entrée de jeu une très grande qualité globale du choix définitif de l’équipe. Cette année, nous entendrons vraiment du jazz d’excellent niveau. Après deux soirées d’écoute intense, le jury auquel j’avais le plaisir de participer pour la seconde année consécutive a assez vite délibéré sous la présidence calme et ferme du bassiste Kyle Eastwood amené à jouer le dernier soir du festival. Le prix du Jury a été donné au trio allemand Just Another Foundry : avec Jonas Engel au saxophone, Florian Herzog à la basse et Anthony Greminger à la batterie, ce power trio issu de la prestigieuse école de Cologne nous a séduits immédiatement. Une grande cohésion et une assimilation parfaite de leurs influences respectives, des compositions originales très contrastées, des personnalités affirmées comme celle indéniable du saxophoniste, ce trio aura le privilège de passer l’an prochain en première partie d’une soirée et enregistrera son disque au prestigieux studio La Buissonne à Pernes les Fontaines sous la direction de Gérard de Haro.
Le prix du public a été attribué au quartet hollandais Morganfreeman composé du batteur Tristan Renfrow, du saxophoniste Andrius Dereviancenko, du trompettiste Dennis Sekretarev et du contrebassiste Matt Adomeit. Le quatuor se concentre sur la déconstruction de compositions plus ou moins connues à travers l’improvisation avec une bonne dose d’irrévérence ludique. Pour ma part, je n’ai pas vraiment apprécié ce groupe inclassable avec un batteur d’origine américaine hyperactif monopolisant toute l’attention par ses élucubrations faisant de l’ombre aux autres musiciens ; le contrebassiste en particulier, au jeu sans doute techniquement parfait, paraissait bien dépressif face à ce trublion et les soufflants ne faisaient pas le poids. Humble avis que n’ont pas partagé mes collègues, tout comme le public qui aime souvent les manifestations bruyantes du jazz. Le quartet remporta également le prix de la meilleure composition (?) et repartit donc avec deux chèques de cinq cents euros.
Enfin l’Amaury Faye Trio reçut le prix du meilleur interprète avec le pianiste fondateur du groupe à savoir Amaury Faye, accompagné de Louis Navarro à la contrebasse et de Theo Lanau à la batterie. Ils additionnent chacun les récompenses partout où ils jouent. Tous trois sont excellents et captivants et s’inscrivent dans la veine des grands trios de jazz américains et européens. Membre du groupe Initiative H du saxophoniste français David Haudrechy, Amaury Faye est parti à Boston pour intégrer l’école de Berklee en 2014. En mars 2015, il a reçu le Berklee Jazz Performance Award qui désigne le meilleur pianiste de l’année. On leur souhaite le meilleur car ils le méritent.
Quant aux trois autres groupes en lice, le premier d’origine belge Garbage Ghost partait du mauvais pied ayant subi la défection de son claviériste une semaine avant, malgré son remplacement avantageux par Thomas Chabalier (vibraphoniste bourguignon passé par le CNSM de Paris). J’aurais bien décerné un prix au second groupe français de très haute qualité, le Frédéric Perreard Trio. En effet le jeune pianiste et compositeur de vingt-deux ans, accompagné de Samuel F’Hima à la batterie et Arthur Allard à la contrebasse, guère plus âgés, se fait beaucoup remarquer partout où il joue, avec une grande sensibilité et une belle interaction mutuelle. Ces trois noms sont à retenir absolument ! Enfin le troisième groupe français Le JarDin était également très intéressant, proposant un jazz fusion mâtiné de rock, avec le saxophoniste alto tirant fort bien son épingle du jeu, surtout au moment où les cigales ont rivalisé avec lui. Pas assez convaincant ? Tous étaient tellement bons, que ce fut un vrai déchirement de faire une sélection toujours injuste avec tant de musiciens de cette qualité...
Mercredi 3 août :
Soleil et chaleur sont revenus pour faire de cette soirée un moment inoubliable dans la douce tiédeur du cloître commençant avec la chanteuse danoise Sinne Eeg ( prononcez "ig" avec un g à peine marqué ). Belle personnalité discrète que cette jeune femme appelée la Sirène de Copenhague, dont c’est une des rares prestations en France et qui mérite une grande attention. Accompagnée ce soir par Jacob Christoffersen au piano, Lennart Ginman à la contrebasse et Zoltan Csörz à la batterie, elle a emballé les spectateurs par la beauté de sa voix allant de pair avec sa beauté tout court. Elle alterne des standards comme Comes Love ou It Might as well be Spring, avec des compositions personnelles. Il en est ainsi de Love Song ( "about a long relationship, the best I ever had", nous dit-elle ), qui apparaît dans le disque Face The Music, et de So Now you Know, dans le disque The Beauty of Sadness paru en 2012. Elle nous chante un superbe Les Moulins de mon Cœur de Michel Legrand, qu’on lui a demandé quelques instants avant le concert. Parlant de ses longs déplacements très excitants, elle enchaîne avec New Horizons du disque Face The Music et termine avec What a Little Moonlight Can Do et Waiting for Dawn du disque éponyme en 2007. Une longue carrière déjà pour cette chanteuse dont le dernier et septième album intitulé Eeg-Fonnesbæk du nom de son contrebassiste habituel paru en 2015, a été distinguée en France en se voyant décerner le Prix Vocal de l’Académie du Jazz en 2014.
Arrive dans un cloître bondé notre président de Jury Kyle Eastwood, fils de qui vous savez. Quel concert formidable ! Accompagné de deux soufflants londoniens de choc, Quentin Collins à la trompette et Brandon Allen aux saxophones, de Andrew McCormack au piano et Chris Higginbottom à la batterie, il attaque à la contrebasse ( version courte de voyage ) Prosecco Smile, un morceau très hard-bop tiré de son dernier et septième album Time Pieces, débordant d’énergie. Suit la reprise d’une vieille chanson des années quarante en sifflant ( Big Noise from Winnetka écrit avec son père) où la dextérité de Kyle pleine d’élégance est sidérante. Nous entendons ensuite Bullet Train, puis Marrakech où Kyle troque sa contrebasse pour la basse vers la fin. Le pianiste captive littéralement le public comme un charmeur de serpents ! C’est bien plus excitant que sur le disque Paris Blue. Suit un morceau du trompettiste dédié à Horace Silver, Peace of Silver, où le final de batterie interminable souligné par le piano est vraiment réjouissant, tout comme Dolphin Dance jolie reprise de Herbie Hancock de Maiden Voyage qui fait encore monter la tension d’un cran. Un clin d’œil très émouvant à Clint avec Letters From Iwo Jima calme un peu l’atmosphère avant qu’elle ne remonte doucement avec le joli Song For You du disque Metropolitan, puis Caipirinha avant un rappel mémorable sur Boogie Stop Shuffle de Mingus. Du jazz qui swingue, du jazz fédérateur festif qui s’est terminé avec le défilé des bénévoles dansant sur l’air de Happy Birthday joué par le quintet complice de Kyle Eastwood. Un immense gâteau d’anniversaire pour les vingt-cinq ans du festival est apporté sur scène et sera partagé pour fêter l’événement. Bon anniversaire au Tremplin et longue vie à tous ceux qui s’y dévouent tout le long comme le président Robert Quaglierini, le co-président Jean-Michel Ambrosino, le chargé de production Jeff Gaffet et tant d’autres que je remercie infiniment pour leur accueil et leur gentillesse ! À l’année prochaine !