Quatre-vingt dixième étape

Yann Gaël Poncet

Si vous pensiez être débarrassé du pérégrin, nous avons une mauvaise nouvelle pour vous. Il est encore vivant. La preuve. Devant la vacuité des programmations, la vacance musicale, propres aux périodes dites « de fêtes », il s’était seulement retiré aux bords des rivages lettrés qui l’attirent depuis toujours, mais pas seulement. Contraint et presque forcé, il s’adonna à quelques honteuses activités. Il écouta (enfin) des disques reçus depuis six mois ou plus, par exemple celui d’une nouvelle chanteuse française dont je ne dirai rien. Pire, il visionna des films en streaming, des concerts sur les chaines vidéo… Ce fut dur, difficile, et il accepta par avance avec gratitude tous vos témoignages de soutien et vos mots de réconfort.

Et cest dans cet esprit qu’il regarda le film « Miles Ahead », film porté à bout de bras depuis le berceau par Don Cheadie, acteur, producteur et coscénariste pour l’occasion. Contrairement au biopic habituel qui narre une histoire chronologique, ce long métrage s’attachait uniquement à un épisode de la vie de Miles, quand ce dernier n’était plus en activité, épisode haché par des flashbacks évoquant se vie maritale, plus ou moins calamiteuse, avec la danseuse Frances Taylor. Pour comprendre l’essentiel, Davis se faisait voler une bande-son dans son appartement par un producteur véreux. Il partit donc à sa recherche avec un journaleux de Rolling Stone qui voulait écrire un papier sur lui. S’ensuivirent une heure et quarante minutes d’aventures aussi miteuses que rocambolesques permettant à Don Cheadie d’être sur tous les plans. Nous ignorons la part de vérité et la part d’invention qui font l’ossature du film et, à vrai dire, on s’en moque. Seule certitude, nous nous emmerdâmes et, s’il le fallait vraiment, tout au plus classerions-nous ce film dans la moyenne des séries B, uniquement parce que c’est Miles et que quelques scènes démontrent un certain savoir-faire cinématographique. Bref l’année s’acheva, la nouvelle arriva, les rois, les reines, c’est par ici qu’on tire, et la dinde, et le reste, avant qu’enfin une programmation nous incita à sortir de notre antre l’appareil photo et le stylo à la rencontre du nouveau projet de Yann-Gaël Poncet : « S ».

« S. » Si l’on débute un article de la sorte, le lecteur s’interroge. Sachez donc que Yann-Gaël Poncet (violon & chant) a choisi cette dix-neuvième lettre de l’alphabet pour identifier l’univers au sein duquel l’accompagnent Philippe Pipon Garcia (batterie), Jean-Paul Hervé (guitare) et Vincent Lafont (claviers), un univers où s’entrelacent élégamment les courbes mélodiques quand elles ne serpentent pas entre les sons.

Cela se passait au Périscope, le 14 janvier dernier, jour connu de tous pour être celui où naquit Dorothy Faye Dunaway (1941), l’éternelle Bonnie cinématographique de Clyde, et encore dans la mémoire de quelques uns pour être le jour du Human Be-In, happening géant qui lança en 1967 à San Francisco le Summer of Love.

Le concept de « S », si l’on en croit son auteur est un éloge au temps vécu dans sa plénitude, ce qui sous-tend une attention au détail et une durée plus conséquente que la succession d’instants ne peut offrir. Nous pensions conséquemment nous immerger dans un monde électro-calme tout en ayant un doute raisonnable au regard des personnalités musicales de Jean Paul Hervé et Philippe Pipon Garcia plus connus de nos oreilles pour donner une couleur et une épaisseur non feintes à leur jeu respectif. De fait, nous fûmes invités dans une musique actuelle utilisant, comme il se doit, l’électronique pour enrichir la palette des instrumentistes. Mélodiques à souhait, les compositions du maître de cérémonie s’imposèrent avec un schéma récurrent les menant le plus souvent de la douceur à un point d’acmé par un crescendo qui, au fil du concert, devint quelque peu prévisible. Bien que chaque pièce portât un titre transfrontalier évoquant des couleurs diverses et des ambiances identifiables, la patte de Yann-Gaël Poncet en voulant unifier l’ensemble gomma un tant soi peu les aspérités et autres saillies de chaque espace abordé, ce qui arrive généralement quand l’emprise de l’initiateur du projet étouffe malgré elle la personnalité des musiciens, et leur valeur n’est pas remise en question, qui tentent d’ajouter au message musical leur vision. Peut-être était-ce dû à la jeunesse du projet et que les protagonistes n’aient eu le temps de digérer complètement les compositions du leader. Dans l’instant, cela donna une musique plaisante, aisément lisible, au sein de laquelle chacun occupa son espace au mieux, mais qui ne réussit néanmoins pas à nous enthousiasmer pleinement, nous laissant même à la fin sur notre faim. « S » demeure cependant un beau projet qui mériterait de s’affirmer et d’atteindre l’ampleur que l’on sent bien présente en lui au stade encore embryonnaire.


Dans les oreilles

Maria Schneider - The Thompson Fields


Devant nos yeux

Pascal Quignard - Les larmes