Il pleut sur le Calvados ce dimanche 5 février : phénomène plutôt rare ces derniers mois. Qu’à cela ne tienne, nous allons au DOC [1], haut-lieu de culture et de convivialité en plein cœur de Saint-Germain d’Ectot (à peine plus de 300 habitants !). C’est facile à trouver et il y a de la lumière : on peut entrer après avoir passé l’épreuve du plancher bois devant l’entrée propice à l’aqua-planning (mais l’équipe a veillé à la sécurité : le visiteur-auditeur est informé !).
À l’intérieur, on retrouve avec plaisir cette ambiance particulière et sympathique du lieu entre salle de spectacle et hangar customisé avec bar et coin bibliothèque jeunesse pour une cinquantaine de spectateurs à tout casser : intimiste aussi ! Pourtant, les temps sont difficiles car les subventions se font rares et sans la solidarité et l’amitié complice qui relie le Collectif Pan (Caen) et l’association Le Doigt dans l’Oreille du Chauve, il serait bien difficile de poursuivre la programmation de concerts dans ce lieu unique et exemplaire. Nous allons suivre cela de près !

Ce dimanche après-midi, c’est donc le Collectif Pan qui programme au DOC un concert du Marc Ducret Trio. Oui, LE trio de Mr Ducret avec Messieurs Chevillon, Bruno, à la contrebasse et effets branchés et Échampard, Éric, à la batterie acoustique. Ils sont là, près du bar et bavardent en attendant de faire les quelques pas qui les séparent de la scène. Prise de contact rapide et je pose la question qui peut fâcher : photos ou pas ? Mr Ducret ne souhaite pas, même avec toutes les précautions d’usage : ça risquerait de les déconcentrer. Je dois être le seul à avoir posé la question et obtenu cette réponse car appareils photo et autres tablettes passèrent à l’action pendant le concert... et personne (sur scène) n’y trouva rien à redire. Qu’importe : je vais écouter et finalement, faire comme les autres : ni vu ni connu ! Pas vu pas pris !

J’écoute et je pense que je n’ai croisé la route de ce même trio qu’à deux reprises et à chaque fois dans des lieux insolites au milieu de nulle part. Ici au DOC de Saint-Germain d’Ectot, en pleine campagne normande et, il y a exactement 12 ans, quelques mois et une pincée de jours, sur la placette du hameau du Pé de Sèvre (commune du Pallet, Loire-Atlantique) au beau milieu du vignoble nantais pour le défunt festival "Jazz sur Lie" (muscadet oblige !).
Et alors, quoi de neuf après tout ce temps ? Eh bien pas grand chose figurez-vous. On retrouve le même sens des contrastes entre subtilité délicate de quelques moments et énergie rude des moments très rock. Une sorte de punkitude maîtrisée qui souffle le chaud et le froid, agresse et caresse. Évidemment, Marc Ducret est un guitariste aussi brillant qu’unique, Bruno Chevillon contribue activement à donner de nouvelles formes et couleurs à la contrebasse contemporaine et Éric Échampard est un percussionniste (batteur) à la précision et à la technique redoutables. De nouvelles compositions ont renouvelé le répertoire (Inflammable, de l’embrasement furieux jusqu’aux dernières braises) mais on retrouve (comme en 2004) les deux emprunts au répertoire de Bob Dylan, The Times They Are A Changin’ et Wigwam (la seule chanson sans paroles du lauréat 2016 du Prix Nobel de Littérature !)... On y verra de la fidélité, une certaine constance ou... la routine peut-être.

Alors, plutôt que de broder un nouveau discours sur ce concert 2017, j’ai eu envie d’exhumer des archives de CultureJazz.fr le compte-rendu du concert du 21 août 2004. Remontons le temps jusqu’à une fin d’été 2004 dans un hameau de vignerons au cours d’un petit festival savoureux animé alors par la fine équipe nantaise du label Yolk (entre autres) : Sébastien Boisseau, Alban Darche & C°.

Les protagonistes sont plus jeunes, plus chevelus (sauf le guitariste toujours aussi chauve !) et finalement, la musique est du même tonneau en chêne passé à la flamme et cerclage métal brut.


LE PALLET, le Pé de Sèvre - (Loire-Atlantique)
21 août 2004 - Festival "Jazz sur Lie"


Marc DUCRET, un guit’artiste majeur [2]

Marc Ducret peut déconcerter, on peut même dire qu’il peut agacer comme Lubat, Collignon ou Monniot peuvent agacer parce que ce sont des artistes créatifs et que parfois, il n’est pas simple de leur emboîter le pas dans leur cheminement.
Disons que Ducret n’est pas toujours facile à suivre parce qu’il est engagé dans une démarche personnelle et que sa conception de la musique n’est pas guidée par un courant de pensée "unique". Sa carrière est balisée par son trio avec Michel Benita et Aaron Scott dans les années 80, sa collaboration au big-band d’Antoine Hervé (encore un insaisissable !) ou du premier ONJ dirigé par François Jeanneau, puis par ses participations aux groupes réunis par le saxophoniste Tim Berne, entre autres... Et ça continue, du solo au grand orchestre, en leader ou sideman : Ducret est actif mais sait rester modeste et discret.

En pays nantais, il a eu un peu le temps de poser ses valises, entre le stage qu’il animait et les concerts de "Jazz sur Lie".
Le samedi 21 août, il était donc sur la place du Pé de Sèvre en compagnie de Bruno Chevillon à la contrebasse et Éric Échampard à la batterie soit un trio qui affûte son répertoire depuis 1997. C’est la cohésion du trio qui impressionne d’emblée ainsi que l’énergie dépensée et restituée aux auditeurs, sans déperditions : on ne peut guère être plus efficace en matière musicale. Ces trois là sont musiciens avant d’être des instrumentistes : musiciens attentifs, créatifs et instrumentistes incontestables et irréprochables.

Le concert se construit essentiellement autour de compositions de Marc Ducret commentées et présentées par un leader qui manie l’humour "à froid" avec beaucoup d’élégance. Musique "descriptive", dira-t-il, comme cette composition dédiée au percement du tunnel sous la Manche. En final, deux compositions de Bob Dylan pour rappeler que la culture d’un musicien se construit dans la diversité. Ce trio développe une esthétique personnelle centrée sur la guitare agile et acérée de Marc Ducret mais crée des climats qui permettent à l’auditeur de maintenir son attention.

La paire rythmique Échampard / Chevillon s’affirme comme incontournable dans le jazz européen. Éric Échampard allie rigueur rytmique et une musicalité exceptionnelle. C’est, de plus, un batteur qui sait se taire quand il le faut, c’est rare. Bruno Chevillon, lui, a porté la contrebasse contemporaine à un niveau inégalé par une connaissance parfaite de l’instrument et une maîtrise des possibilités de l’amplification qui décuple sa palette sonore. A l’issue du concert, la conviction était acquise : le jazz hexagonal ne peut décidément pas se passer de Ducret !

Conviction renforcée le lendemain par la prestation de l’orchestre des stagiaires de l’ADDM. Une scène au bord du vignoble accueillait une formation éphémère de 9 musiciens pour un concert d’une trentaine de minutes... qu’on aurait souhaité plus long !
Des compositions du leader (et d’un de ses amis saxophoniste) avec des arrangements aérés et toniques, très stimulants pour les solistes. On se régale tout comme les musiciens qui sortaient de scène "sur un petit nuage", louant les qualités pédagogiques et humaines de Marc Ducret.

Thierry Giard / 2004

> Les curieux pourront lire le compte-rendu du festival Jazz Sur Lie 2004 dans nos archives ! ...ici...


[1Association Le Doigt dans l’Oreille du Chauve - On pourra (re)lire l’article que nous lui avions consacré en 2011...ici...

[2© 09/2004 - CultureJazz - article publié à propos du festival "Jazz sur Lie" qui n’était plus disponible en ligne.