Ambrose Akinmusire au Crescent (Mâcon) avec Sam Harris au piano, Harish Raghavan à la contrebasse et Justin Brown derrière les fûts, cela ne refuse indéniablement pas, enfin...
Cent quarante sixième étape
Ambrose Akinmusire au Crescent avec Sam Harris au piano, Harish Raghavan à la contrebasse et Justin Brown derrière les fûts, cela ne refuse indéniablement pas. Et si le natif d’Oakland n’est plus le p’tit gars qui zieutait ébaubi les terreurs qui l’entouraient sur la scène de Jazz à Vienne en 2008 dans le septet de Donald Brown, c’est bien un musicien accompli que l’on a retrouvé sur la scène du mâconnais Crescent, un musicien capable de servir sa musique et son quartet. Tout pour l’expression musicienne, sinon rien. Entouré de fidèles, il égrena les compositions, enfila les notes, étira les improvisations, avec un naturel désarmant. Maître du son, il utilisa son instrument avec autorité, le poussa et le repoussa dans ses retranchements, le magnifia presque, l’air de rien. Maître du quartet, il invita ses coreligionnaires à le suivre sur son chemin et les engagea à le personnaliser. Chacun sa touche et personne sur la précitée ; un ensemble parfaitement cohérent donc qui se réserva le droit de sortir du cadre harmonique avec aplomb et savoir-faire, bousculant au passage quelques codes que certains aiment à penser intangibles. Après tout, Ambrose Akinmusire est un néoclassique de l’après post bop moderne, si voyez ce que l’on veut dire. Son principal avantage sur bien des musiciens d’aujourd’hui (et de son acabit) est d’avoir un univers personnel identifiable. Ce n’est pas donné à tout le monde et c’est ce qui nous permit de ne pas nous ennuyer en ce 21 avril 2018 car, en toute honnêteté, nous ne sommes pas toujours convaincus par les américains (souvent les new-yorkais) qui évoluent dans cette part désespérément reconnaissable du jazz actuel. Et pour être clair et franc, il arrive même que l’on s’emmerde profondément. Voilà pour la version officielle, genre consensus chroniquement correct.
Si tout ce qui écrit ci-dessus est exact, nous devons néanmoins signaler que si monsieur Akinmusire maîtrisa parfaitement la dramaturgie, qu’il fut aussi capable de sauts d’octave impressionnants, qu’il alla chercher avec son instrument des graves et des effets inusuels et qu’à tout moment cela sembla facile, nous notâmes hélas qu’il limita la communication orale au strict minimum. Il ne prit pas la peine de saluer son public quand il entra en scène, n’introduisit pas les morceaux et remercia fort peu, du bout du bout du bout des lèvres un public nombreux et convaincu. Moralité, la politesse et la bienséance, c’est comme la trompette, cela s’apprend. Autres temps, autres mœurs ? Il refusa en outre d’octroyer plus de quinze minutes aux photographes (soit environ 12,5% du temps de concert), ce qui eut le don de nous gêner aux entournures (euphémisme). Quand à la musique à proprement parler, nous nous aperçûmes dès la fin du concert que nous étions incapables de nous souvenir ne serait-ce que d’une mélodie ; c’est presque toujours le cas quand les musiciens font de la musique pour musiciens (lesquels étaient aux anges, soit-dit en passant). Et cela nous interroge. Nous avons dans la tête nombre de compositions écrites par Miles (on ne l’a pas vu en concert depuis longtemps pourtant) et d’autres (Keith, Paul, Bill, John, Booker, Ornette, un autre Bill, Thelenious, etc) et c’est par ce biais, en premier lieu, que leur musique perdure, qu’ils laissent une trace dans l’histoire de la musique. La technique et la virtuosité, tout comme l’expérimentation, l’écriture complexe, ne suffisent pas à s’assurer la reconnaissance du public lambda, pas longtemps, et ce public est grandement majoritaire dans les salles et autres festivals, ne l’oublions pas, ne l’oubliez pas. Quand il manque à une composition la pure mélodie, nous avons quelquefois à l’écoute l’impression d’assister à l’autopsie clinique d’un jazz glacial pratiquée par des apprentis créateurs prêts à tout pour se démarquer de leurs ainés. Le problème à l’évidence demeure de savoir ce qu’ils espèrent réussir en agissant ainsi. Mais peut-être que monsieur Akinmusire s’en moque. Nous, on s’en fout, on sait seulement que le 21 avril a vu naître le grinçant Anthony Quinn (1915) et Charlotte Brontë (1816) sœur d’Anne et Emily. Comment cela vous n’avez pas lu Jane Eyre ?
Dans nos oreilles
John Coltrane - Live in Antibes 1965
Devant nos yeux
Joyce Maynard - Et devant moi le monde