Trois fois quatre vingt huit touches dans la même soirée, soit le pérégrin a du sex appeal, soit il y a trois pianistes au programme. A votre avis ?
Deuxième équipée
Prévoir un concert en extérieur le jour de la saint Médard ? Il faudrait voir à raison garder, non ? Sur les terres très catholiques de Fourvière, face à la basilique (ta mère), la pluie n’est pas bénite que je sache. Et dans l’hôpital pour finir, les deux pianos ont eu le dernier mot. Je ne sais s’ils étaient athées mais ils étaient pour le moins tête à queue et à l’abri, pas malade pour deux sous. Ce fut d’abord Franck Avitabile seul face à sa playlist qu’il ne respecta pas, bien évidemment. Sous ses doigts, la musique évolua autour de standards librement réinterprétés (et éloignés des standards en cours) ou d’une improvisation effectuée en partenariat direct avec le public qui lui fournit les quatre premières notes de la pièce à venir. Elle s’attacha également aux basques du déserteur du grand Boris et offrit au final un vaste panorama des possibles harmoniques qui siègent dans l’esprit du pianiste. Pas de partitions, juste un savoir et une envie de partage. Pas d’esbroufe, juste un désir de musique, de jazz en particulier, avec un toucher et un phrasé personnels auxquels vous ajouterez, pour faire bonne mesure, une approche rythmique saisissante. Franck Avitabile apparut tel qu’il est : un affranchi novateur qui connait les origines de sa musique sur le bout des notes et lui donne une vie nouvelle, actuelle, qui démontre que le bon goût n’appartiendra jamais au temps qui fuit (puisqu’il s’est offert à la beauté).
A l’autre bout du spectre musical, un duo acheva le début de soirée. En l’occurrence, François Raulin, Stephan Oliva et beaucoup de partitions. Leur propos, en forme d’hommage à des grandes figures qu’ils respectent et apprécient, appartenait à une autre forme de jazz. Plus intellectuelle ? Non, mais qui se voulait, qui sait, plus sérieuse. C’est du moins l’impression que cela me fit. Mais aventureux que je suis, je ne m’effrayai pas d’un pari sur l’écoute active risquant d’endommager mon cervelet, sa grise matière et ses idées loufoques (off). Vivre avec panache sinon rien ! Un panaché en terrasse ? C’est bon pour les timides. Sachez, tant que j’y pense que les deux pianistes jouent ensemble depuis plus de deux décades. Raison sans aucun doute pour laquelle tout sembla télépathique entre eux. Ils puisèrent à l’envi dans leur répertoire, nous entretinrent de Ligeti, d’Ellington, de Tristano et Dutilleux, de stride aussi, et maîtrisèrent leur sujet sans faillir. Entre mes deux oreilles, un léger chahut. Pas certain de bien tout comprendre. Ou plutôt, sûr d’être indifférent, sans hermétisme déclaré, à cet univers original riche de références un tantinet absconses pour mon petit cerveau démuni de tant de culture et d’élaboration. Tiens, il ne pleut toujours pas. Écoute active ? Tu repasseras pérégrin au rabais. Je n’avais pas les codes. Diantre ! Je suis passé à côté. Je n’étais pas loin, pourtant. Peut-être qu’un moulin tournait sous ma caboche de rêveur invétéré. Ah ! Je suis refait. Mais après tout, on ne se refait pas. Tout de même, l’autre pianiste avant, ce n’était pas simple non plus et j’avais aimé me promener dans son paysage. L’air de ses mélodies sur mon visage, je le goûtais avec délice car au loin, sans obstacle pour le regard, se dessinait un onirisme musical plus beau encore qu’un château en Espagne. C’était un 08 juin, jour où l’on affirme que « Saint Médard, grand pissard, fait boire le pauvre comme le richard. » Jour aussi qui vit le décès de l’inclassable Maurice Pons (2016), auteur du cultissime ouvrage « Les saisons » que je devrais relire entre deux aventures en terre de conquête.
Dans nos oreilles
Franck Avitabile - Just play
Devant nos yeux
Truman Capote - Les domaines hantés