Dixième équipée

Joel Forrester au Bémol 5, c’est un peu comme Jimmy Dupont au Dièse 7. Qui est-ce ? Sauf si l’on vous dit que ce gars-là a fourni de la musique pour les premiers films de son pote de fac, un mec nommé Warhol. Forrester fut également engagé dans le mouvement pour les droits civiques. Résultat ? Au début des années soixante-dix, il passa quelques mois par la case prison. Ce n’est pas anodin. Sinon, une copine à lui, la baronne Pannonica, lui présenta un autre pianiste, Thelenious… qui l’encouragea. D’ailleurs, il vint chez cette baronne très régulièrement durant deux années pour jouer du piano… Elle pensait qu’au final, grâce à cette présence musicale, l’autre pianiste, le barbichu, finirait par sortir de la chambre où il passait ses journées. Depuis, Joel Forrester a composé environ 1600 thèmes dont le générique de « Fresh Air  », émission culte de la NPR, mais aussi une pièce répétitive pour piano, « Industrial Arts », d’une durée de huit heures. ( ?) A part ça, il accompagne les films muets un peu partout à travers le monde, de préférence dans des endroits classieux comme le musée du Louvre, le festival d’Avignon et j’en passe. Alors moi l’autre soir, je compris qu’il était temps de ressortir mon œil et mes oreilles. C’était un mercredi. Le 03 octobre. Le jour de naissance de Steve Reich (1936), le sieur à la musique un peu rêche et pas trop festive. Tout bien considéré, rien à voir avec l’américain septuagénaire à la gauloise moustache. Car ce dernier, devant un public beaucoup trop clairsemé, nous démontra sans coup férir qu’il avait dans les mains toute l’histoire du piano jazz. Passant d’un genre à l’autre avec l’aisance des vieux briscards, il passa à son filtre quelques standards et nous gratifia de quelques unes de ses compositions qui supporteraient plus que largement la comparaison avec les dits standards. Je me laissai prendre sans effort aucun car les mélodies s’articulaient autour des phrases musicales avec finesse et à propos. Cela glissait pour ainsi dire paisiblement avec l’aide d’une technique éprouvée et un sens certain de l’improvisation à l’ancienne. Il acheva le premier set par un extrait de la pièce répétitive citée plus haut en nous promettant de lui consacrer son second set, set auquel je n’assistai pas pour diverses raisons. Néanmoins, l’extrait que j’écoutai me fit regretter de ne pouvoir rester plus avant dans la soirée afin de profiter d’une ambiance plus contemporaine, ce qui nous aurait permis de mieux cerner la personnalité musicale complexe de l’individu. On fait ce qu’on peut, me direz-vous. Mais comme très peu de gens avaient eu le désir de bouger leurs fesses pour un artiste a priori inconnu ou méconnu de ce côté-ci de l’Atlantique, je trouvai dommage de quitter le navire avant l’arrivée à bon port. Je retournai donc à mes pénates avec néanmoins présente à l’esprit l’idée de réécouter les trois disques « The London collection » du « melodious » Monk dont nous entretint Joel Forrester. Une riche idée à vrai dire qui me permit de constater une fois de plus à quel point, en son temps, le natif de Rocky Mount fut un adepte du retour vers le futur d’une musique qu’il pressentait avant les autres. Tiens, s’il était là aujourd’hui, avec le style qui était le sien, il passerait sur les petites scènes gratuites des grands festivals, de préférence à midi ou à l’heure du goûter devant trois pelés et deux tondus ou dans quelques clubs obscurs. A moins qu’il fasse un duo avec Tony Bennett


Dans nos oreilles

Joe Pass - Portraits of Duke Ellington


Devant nos yeux

Thomas Stearns Eliot - La terre vaine


http://joelforrester.com/