Vingt-neuvième équipée

En juillet 2018, j’écrivais au sujet du dernier disque de Nik Bärtsch qu’il recelait « une musique construite autour de rythmiques complexes en juxtaposition mariées à une répétitivité qui flirtent avec le minimalisme et nous fait souvenir que Steve Reich est toujours vivant. » Je pus le vérifier de visu lors de la clôture de la 31ème édition du festival A Vaulx Jazz. Ceci écrit, le minimalisme des formes ne fut pas le minimalisme du son. Avec Kaspar Rast à la batterie, Thomy Jordi à la guitare basse et Sha au saxophone et à la clarinette basse, le pianiste zurichois sut transmettre sa musique au public avec un savoir-faire persuasif et pertinent. Il n’empêcha toutefois pas la répétitivité de son concept musical d’étendre en moi de larges plages d’ennui dues pour une part à son aspect purement intellectuel ainsi qu’à l’absence de mélodies accrocheuses. Je m’absentai donc épisodiquement, malgré ma bonne volonté, dans les profondeurs d’une rêverie solitaire. Mais qu’aurais-je pu faire d’autre ? Le manager n’avait accordé aux photographes que le premier morceau et l’éclairagiste, dans un élan magistral d’inimaginable créativité, pourrit avec une infaillible application la vision globale du concert. Attendez voir ; qui sait si le contrejour quasi permanent et l’enfumage obstiné n’étaient pas l’expression directe de la philosophie orientale dont le pianiste se dit adepte. Après tout, il est plausible que cela fut une argutie allégorique au service d’une pensée à moi inaccessible. Je ne le saurai jamais. Je passai donc et de facto un début de soirée en demi-teinte rehaussé par la présence sympathique des propriétaires de capteurs chômeurs de ma connaissance avec lesquels je pus, d’un regard amusé, partager ce sentiment d’intermittence qui caractérise de plus en plus souvent notre métier.

Piaffant d’impatience (ou presque) avec mes amis ci-dessus précités, j’attendais le final de la soirée, le concert de Mélanie De Biasio, car l’ogre managérial avait généreusement alloué à la profession les trois premiers morceaux de la native de Charleroi. Fort éloigné les uns des autres sur scène, les quatre musiciens emplirent la scène du centre culturel dans une obscurité en tout point bouleversante d’unité. Une flûte d’abord s’inscrit dans la noirceur, puis un chant dense et profond s’éleva, à peine accompagné de quelques accords aux harmonies répétitives, ce qui d’ailleurs démontra la cohésion évidente de la soirée. Ainsi se passa l’ensemble du concert, entre rais lumineux épars, ombre sombre et misère visuelle. Quant à la musique à proprement parler, il me sembla qu’une confusion entre économie de moyens et pauvreté musicale fut l’axiome basique de cette performance qui, selon notre longue expérience, se révéla curieusement hors norme. Cette particularité eut pour effet de voir le public s’amenuiser par grappes silencieuses et polies entre chaque chanson. Elle engagea également mon voisin de droite à opter pour un sommeil aussi précoce que réparateur en cette nuit de passage à l’heure estivale. Alors, sachant que la jauge était déjà réduite, je vis un vide supplémentaire accompagner la vacuité scénique et ainsi créer une sorte de métaphysique de l’abandon déroutante dans un festival où même le bar était mallarméen. Ce ne fut pas un 30 mars homérique. Préférons-lui celui qui vit naître Paul Verlaine (1844, un samedi) ou, plus près de nous celui où naquit Eric Clapton (1945, un vendredi). S’ils avaient été des nôtres dans la morosité environnante, quel poème, ou chanson, auraient-ils composé ? C’est au minimum une question rouge.


Dans nos oreilles

Mark Murphy - Once to every heart


Devant nos yeux

Thomas Bernhard - Mes prix littéraires


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