Où le pérégrin s’égare dans un monde parallèle en écoutant le trio d’Alexandra Grimal au Périscope ; ce sont des choses qui arrivent et pas qu’un peu.
Trente-deuxième équipée
Dans mon agenda il était écrit : aller écouter Alexandra Grimal, Jozef Dumoulin et Eric Echampard, au lyonnais Périscope. Un an auparavant, environ, « Kanku », le disque de la saxophoniste, m’avait fait voyager vers des lointains enivrants. En ce 12 avril 2019, j’étais par suite plus que prêt à en reprendre une louche. D’autant qu’en 1961 et 1981 les 12 avril furent très voyageurs. Gagarine d’abord, puis la première navette spatiale ensuite. Alors quoi, j’allais passer la soirée à m’envoyer en l’air… C’était pour le moins mon impression première alors que je garais sans effort mon carrosse, ce qui était un bon présage de bon augure (pour celles et ceux qui aiment à jouir de la redondance pléonasmique…).
Au club, il n’en fut pourtant pas comme je l’avais imaginé. Je ne sais quel aruspice avait glissé ses prédictions en mon esprit mais fichtre, elles ne furent qu’aberrations et paralogismes. Sur la scène périscopienne, la seule où l’éclairage se concentre en toute occasion sur les pieds des musiciens, je vis à cour Eric Echampard et à jardin Jozef Dumoulin. Entre les deux, en retrait se tenait Alexandra Grimal. Cette vue première sur la soirée aurait dû m’interpeller car dès que la musique débuta, l’impression sonore fut équipollente. Partant, le son de la saxophoniste fut plus lointain que celui de ses collègues masculins et sa voix apparut en façade comme vaguement métallique, parasitée et plate. Les oreilles grandes ouvertes, je tentai de retrouver la poétique de l’inventif, le minimalisme évocateur, l’improvisation savante et la liberté sinueuse que j’avais tant aimés. Mais rien ne vint à moi. Les musiciens ne furent pas en cause quant au mur qui se dressa entre leur musique et moi. Ils étaient à leur place et distillaient le mélodique et l’abstrait au creux de l’aérosphère musicale de la compositrice avec leur intelligence coutumière. Que dire sinon que ce fut clairement un soir d’impossible rencontre entre nos flux existentiels. Sensation déconcertante et énigmatique. Des irritations sourdes, des interrogations alambiquées, des colères à l’emporte-pièce, des incompréhensions sèches, surviennent quelquefois à l’écoute d’un concert et les raisons qui les provoquent sont diverses. Là, seul un vide épais me sépara d’eux. J’insistai pourtant, mais rien n’advint sinon une forme lourde d’inassouvissement jamais vécue auparavant. Ayant convoqué en esprit tous les philosophes passés et présents afin d’identifier et d’interpréter le phénomène, j’en conclus que ce fut une soirée « mystère et boule de gomme ». La description est sommaire, j’en conviens. Elle possède en revanche le mérite d’être imagée et un cerveau brillant pourrait possiblement l’imaginer musicale, histoire de boucler la boucle sonore dans laquelle je ne parvins pas à entrer nonobstant des efforts soigneusement renouvelés.
C’est ainsi. Il en va donc des soirs de concerts comme des jours et des nuits. Nous les reconnaissons fort de notre expérience en sachant que l’hypothétique et l’aléatoire fragilisent nos convictions et affaiblissent le galbe de leur silhouette. Après tout, une place particulière dans mon encyclopédie personnelle appartiendra à ce 12 avril 2019 car, comme Gagarine en 1961 et Columbia en 1981, j’ai tourné autour de mon sujet sans l’atteindre. Fallait-il que je fusse dans la lune pour manquer mon entrée dans l’atmosphère musicale du trio ? Allons, il n’y eut pas mort d’homme et le pérégrin n’abandonna pas ses moulins à vent en rase campagne. Et le rêve continue.
Dans nos oreilles
Jason Moran : All rise, a joyful elegy for Fats Waller
Devant nos yeux
François Maspero - L’ombre d’une photographe, Gerda Taro