Trente-quatrième équipée

Vendredi dernier à l’Opéra Underground, entre les gouttes je me rendis, déguisé en zombie pour mieux goûter « Endangered Blood »… À peine arrivé en ce temple culturel souterrain, une surprise m’attendait. Sapristi ! Triple merde ! Il y avait une première partie. Eut-il fallu que je me souvinsse au préalable de son existence pour la considérer autrement que comme une figure imposée ? Un treizième épisode dans une série de douze ? C’eut été calomnieux pour Lionel Martin et Mario Stantchev qui présentaient leur Hommage à Louis Moreau Gottschalk. Ils ne le méritaient pas. Pas plus que le pianiste surdoué et voyageur du XIXème siècle. Louis Qui ? Un compositeur classique mort en 1869 d’une appendicite ou des suites de ses traitements contre la syphilis, les experts s’interrogent encore. Argh ! Quant aux exégètes, ils disent de lui qu’il fut un précurseur du ragtime et du jazz, notamment par l’introduction dans ses œuvres de rythmes et d’harmonies d’origine caribéenne, africaine ou encore ibérique. Pas moins. Un vilain anticonformiste de plus. Quoi qu’il en fut, ces fameux rythmes furent omniprésent durant le set des deux musiciens du crû qui firent le show avec assurance et maestria. J’attendis donc, avec mon légendaire flegme. Je vous dois cet aveu : passé le Rio Grande, la musique sise géographiquement en dessous de cette limite me rend d’ordinaire, et à de rares exceptions près, très nerveux.

Vint ensuite la formation pour laquelle j’avais déplacé mes oreilles et mes yeux (le reste avait suivi) : quatre new-yorkais réunis épisodiquement depuis une décade pour créer un jazz acoustique multiple et insidieusement attractif. Des thèmes au cordeau et des improvisations furibardes. De l’espace intelligent et, à l’improviste, des ruades fébriles. De l’écoute, de la profondeur et des structures élastiques. À ce petit jeu, quand il prend un solo, Jim Black est lumineux (et vous trouvez ça drôle ?). C’est pour cela que je l’apprécie plus que d’autres batteurs qui la ramènent plus qu’il ne faudrait tels des bateleurs aux abois à la foire du coin. Il sait poser sa baguette là où ça fait mal (là où ça le fait bien). Trevor Dunn, lui, est un inventif solide sachant faire vivre ses quatre cordes sans retenue ni inutile démesure. Chris Speed, lui, à son petit jeu d’orfèvre presque discret, aime à louvoyer entre les lignes avec une prédisposition pour des formes complexes à l’épaisseur subtile très liante. Enfin, Oscar Noriega, dont la pureté du son nous renverse toujours, amène une énergie clairvoyante et souple à un ensemble fédéré pour le meilleur (pas con, quoi) autour d’une musicalité hybride, instinctive, dénuée de tiédeur mais pas de créativité. Et ce qui devait arriver arriva. Je pourrais même affirmer séance tenante qu’ils chauffèrent à blanc un public rapidement persuadé du bien fondé de sa présence underground à l’opéra. De son côté, votre pérégrin but du petit lait sans discontinuer. Pour un peu, j’aurais oublié d’user mon capteur. C’eut été dommage, même en noir et blanc, d’autant plus que le 17 mai 1861, à Londres, devant les membres de la Royal Institution of Great Britain, le physicien écossais James Clerk Maxwell réalisa un cliché aujourd’hui considéré comme la première vraie photographie en couleur. Un jour historique de cet acabit, ne pas photographier eut été un crime éhonté. Je ne manquai pas à mon devoir et ramenai à la grotte deux ou trois clichés décents, la tête pleine de musique, assez pour m’endormir avec. Jusqu’à la prochaine.


Dans nos oreilles

Rory Gallagher - Live in Europe 1973


Devant nos yeux

Albert Camus - Carnets I, mai 1935 - février 1942


https://www.opera-lyon.com/fr/programmation/opera-underground