Entre musique classique et hard bop post moderne, le pérégrin navigue au gré du vent musical. Il ne s’en porte pas plus mal et trouve même qu’il est rafraichissant de faire le grand écart !
Quarantième équipée
L’autre jour, après ma soirée idyllique du 16 juin dernier au festival « Jazz à cours et à jardins », enclin à écouter plus encore de piano solo, je me suis rendu au Goethe Institut, écouter Einav Yarden, une pianiste israélienne classique installée à Berlin. Oui, vous avez bien lu : une pianiste classique. C’était un 26 juin et vous le savez, « À la saint Anthelme, fanent les hélianthèmes. » De toutes les manières, c’était un jour étrange. Imaginez un peu que Pearl Buck, autrice américaine, prix Nobel de littérature en 1938, je me demande bien pourquoi, est née un 26 juin (1892) ; à titre informatif, je ne dénigre absolument pas la personne mais son œuvre qui, je l’avoue sans fard, m’est pour le moins indigeste. Et puis ce n’est pas Ingeborg Bachmann, non plus. Alors quoi ? Quitte à défier les règles du jazz dans leur totalité, autant le faire avec conviction. Et puis le Goethe Institut fait venir à Lyon chaque année des musiciens allemands de jazz que je suis toujours satisfait de découvrir quand je ne les connais pas déjà. Mais revenons à Einav Yarden qui interpréta pour une cinquantaine de personnes la Partita n°4 en ré majeur BWV 828 du sieur Bach, la Fantaisie-Capriccio en ut majeur Hob. XVII:4 de Haydn et la Fantaisie op.17 de Schumann ; du baroque absolu au romantisme échevelé en passant par le classicisme viennois, tel fut le voyage musical que firent nos oreilles. La pianiste, sensible en diable et techniquement impeccable s’en sortit haut la main et l’on put à loisir goûter la finesse logique du baroque, la subtilité contrastée de l’école de Vienne et les états d’âme contradictoires du romantisme. En somme, une belle façon de parcourir le passé musical de la vieille Europe, passé que la musicienne nous transmit par le biais d’un piano de concert construit par Blüthner, facteur de Leipzig ayant survécu aux violences de l’histoire depuis cinq générations et plutôt rare dans nos contrées. Je n’ai, pour tout vous dire et à ce jour, jamais vu un pianiste de jazz jouer cet instrument. Je passai au final une soirée agréable dans ce lieu absolument incontournable pour tout lyonnais germanophile qui se respecte.
Le lendemain, mes vieilles habitudes prirent à nouveau le dessus et je me rendis au Bémol 5 écouter le trio modifié et augmenté de Fred Nardin puisque Leon Parker était remplacé par Rodney Green et que Jon Boutellier se joignit à eux. Soit un quartet nommé Grew up ! C’est eux qui mettent le point d’exclamation. Moi, je n’en suis pas vraiment adepte. Trêve de digression grammaticale, c’était une affiche alléchante complétée par Or Bareket à la contrebasse. Alors, en ce 27 juin qui vit en 1954 le démarrage de la première centrale nucléaire en Union Soviétique (ils firent moins les malins 32 ans après), un jour caniculaire parmi d’autres, je fus heureux d’apprécier la fraîcheur d’un club climatisé et la musique d’un quartet bourré d’une saine énergie (pas nucléaire, quoi). Le dit quartet, ayant décidé de rendre hommage à Mulgrew Miller, nous convainquit d’emblée par sa puissance évocatrice au service d’un post hard bop immuablement moderne. Avec une majorité de titres dus à la plume du pianiste trop tôt disparu (1955-2013), l’ensemble des deux sets fut complété par des compositions originales et un « Body and soul » parfaitement travaillé sous l’angle de la modulation. De franches cavalcades en alanguissements relatifs, les quatre musiciens firent briller les finesses d’un répertoire haut de gamme avec une assurance éclatante. Leur joie de jouer, elle, traduisit pleinement cette ambiance particulière à une époque où les jazzmen noirs américains s’amusaient et repoussaient les limites du jazz sur scène, soir après soir, tout autant qu’ils souffraient au quotidien dans un pays ouvertement ségrégationniste. Et pour un quartet nouvellement constitué dont Fred Nardin souhaite qu’il perdure, il est évident que la musique qu’il offre au public possède déjà des attraits notoires. J’en veux pour preuve qu’il ravit l’auditoire et moi avec car après tout, il devient rare d’être juste heureux d’écouter avec des amis un jazz, un pan d’histoire musicale, qui ne mérite pas disparaître ou d’être accusé d’obsolescence sur l’autel de la nouveauté qui, par quelque bout qu’on la prenne, est vouée à la mémoire. Tiens donc, avez-vous noté à quel point sont follement friands de commémoration, quasiment de commémoraison, les tenants les plus purs et les plus durs de la nouveauté ?
Dans nos Oreilles
Mulgrew Miller - Live at Yoshi’s Vol. 1
Devant nos yeux
Antonio Moresco - La petite lumière