Une soirée viennoise entièrement consacrée à John Zorn avec une paquet de musiciens new-yorkais xxl, cela aurait été super si on nous avait laissé travailler.... Nous nous sommes vengés le lendemain au Périscope qui clôturait bruyamment sa saison.
Quarante-troisième équipée
Je pourrais mettre en avant mon irritation, mon énervement, mon mécontentement, mon exaspération, ma colère, mon ire ou mon courroux. Oh oui je pourrais ! Surtout après que John Zorn, et l’organisation du festival Jazz à Vienne au garde à vous, aient interdit les photographes à son concert du 10 juillet 2019 (jour qui vit disparaître l’empereur Hadrien en 138). La présence exceptionnelle du gratin new-yorkais du jazz aurait dû me faire oublier la privation imagière et, après tout, j’aurais pu écouter avec plaisir cette musique somme toute mémorable. Mais non. Parce que John Zorn n’a joué que trois morceaux au début du concert avant de revenir pour le final avec Marc Ribot et consorts. Entre les deux, même si JZ apparaissait pour présenter les musiciens, l’organisation du festival aurait pu s’arranger avec lui pour laisser les photographes professionnels travailler car les autres artistes présents sur scène, eux, ne voyaient aucun inconvénient à notre présence. Comment le sais-je ? J’ai par le passé fixer dans ma mémoire photographique les trois quarts d’entre eux et aucun ne s’est plaint de mon travail, bien au contraire. Alors quoi ? Je ne critiquerai jamais le travail artistique de John Zorn. L’exigence de sa démarche et sa contribution à la musique sont vraiment considérables. Mais rien ne m’empêchera de pointer l’absurdité de son refus, si c’est de lui qu’est venue l’interdiction, car pourquoi un musicien empêcherait-il un auteur-photographe de travailler ? Ne sont-ils pas tous deux des artistes ? En toute honnêteté, ces restrictions qui s’amplifient année après année dans les grands festivals m’emmerde. Et je signale en outre aux organisateurs que quand ils accréditent un photographe professionnel, ils doivent lui permettre de travailler. Je suis contraint de me rendre à l’évidence : ma naïveté, croire que les choses pouvaient changer en bien, m’a perdue. Qu’il est con ce pérégrin…
Le jour précédent, rassurez-vous je n’avais pas demandé d’accréditation, une pianiste canadienne avait elle aussi eu des exigences délirantes quant à mes collègues, et certains d’entre eux n’eurent pas le droit d’officier. Elle, je n’arrive pas à écrire qu’elle laissera un grand souvenir dans l’histoire du jazz. Je ne peux pas faire cet affront à Billie, à Ella, à Shirley, à Sarah, à Sheila, à Dianne, à Jeanne (celle qui chante avec Mal), à Dinah, à Julie et quelques autres. Et oui je me répète, ces festivals où le business et les égos surdimensionnés se disputent la timbale, ils me font chier (euphémisme métaphorique). Il pose le jazz sur de petites scènes annexes et gratuites où le public est restreint pour faire illusion. Ils ne servent pas le jazz et ses talents pour autant. La petitesse en sort grandie… L’excellence musicale est étouffée par la puissance du loisir culturel de masse (lui, il remplit l’amphithéâtre, les restaurants les bars et les buvettes, les stands de souvenirs…) et cela m’attriste de voir ces festivals aux glorieux passés perdre leur âme l’un après l’autre. A qui profite donc le profit ? Et la culture discréditée, dans quel espace d’inhumaine solitude va-t-elle se noyer ? Et pour parfaire cette désastreuse série, le 12 juillet, c’est Fatoumata Diawara qui interdit aux photographes d’exercer leur métier. Qui est-ce ? Peu importe. Je sais par contre que le 12 juillet est le jour de naissance de George Eastman (1854), fondateur de Kodak, entreprise qui fait partie de ma vie photographique depuis toujours ou presque.
Le lendemain de cette soirée ratée, j’allai au Périscope participer à la clôture de saison, une façon comme une autre d’affirmer que le renoncement n’est pas dans vocabulaire. J’écoutai là Luxus (Clément Vercelletto : synthé modulaire, Julien Desprez : guitare et Seb Brun : batterie & électronique). De fait, nous ouïmes trois personnes utilisant leurs instruments à des fins de recherche sonore et produisant sur un rythme obsessionnel (mais pas hypnotique) une sorte de bruit brut (brutal), ferrailleux, en un mot, industriel. Je ne fus pas convaincu par ce propos sonique puissant mais travaillai à ma guise. De plus, quelle que fut ma perception de leur travail, je leur reconnus cette qualité majeure dans l’expression artistique qu’est la sincérité. Mes neurones, bien qu’ils fussent grands ouverts, furent incapables d’adhérer à ce projet. Ceci écrit, je n’ai rien à ajouter si ce n’est que le 11 juillet, Suzanne Vega fête son anniversaire (1959). J’aime beaucoup sa simplicité, sa musique évidemment, et au passage, sachez qu’elle laisse les photographes s’exprimer. Je vais réécouter « World before Colombus » ou « Ludlow song ». C’est apaisant et cela ne manque pas de sens.
Dans nos oreilles
Suzanne Vega : Close-Up, Volume 4 : Songs of Family
Devant nos yeux
Nella Bielski - La pulpe de l’étreinte