Cinquantième équipée

Marc Ducret était au Périscope il y a quinze jours. Et voilà que mardi dernier, quarante-neuf jours avant la fin de l’année, il était encore là, mais cette fois-ci pour jouer avec Stéphane Payen et Tom Rainey. Et pendant que j’y pense, en ce jour anniversaire de la naissance de Rodin (1840), ou aussi de celle de Neil Young (1945), à quelle sauce ces trois improvisateurs allaient-ils me farcir les conduits auditifs ? Une question existentielle anticipant un combat au corps à cœur, jusqu’à l’encore comme on dit là-bas ? Voyons voir un peu, ou un peu plus.

J’étais pour tout dire impatient d’écouter le fruit de cette inédite rencontre et je ne fus pas déçu. Les trois flibustiers nous la jouèrent marée haute (je dis nous car j’inclus à mon récit les ceusses qui étaient présents au moment M), voire même grande marée. Autant affirmer d’emblée que nous nous prîmes (toujours les autres et moi) de sacrés rouleaux sur la caboche, ce qui ne signifie pas que je fus assommé (les autres ? Je n’ai pas demandé). Juste débordé à bon escient et circonscrit par un flot musical aux clartés intrépides, en fait. C’est rare d’être le jouet d’une musique, non ? Votre serviteur, coincé entre les trois vagues, il lui arriva de se prendre pour un radeau médusé (au moins, je n’ai mangé personne) par tant d’inventivité, de science et de plaisir de jeu. Ah oui, je ne fus pas seul à ressentir cette notion de partage, simple et modeste, entre trois personnalités fortes au service d’un art exigeant et fédérateur. Ils surent y faire les bougres, et je ne suis pas du genre à faire des compliments à la pelle ou à la truelle. Mais trois bons électrons (électrons, piège à dons) navigant à vue sur leurs océans respectifs, quand ça se mélange, soit c’est le chaos, soit c’est cadeau. Et là, ce fut noël avant l’heure. Le guitariste nous surprit en délaissant à plusieurs moments sa guitare au profit d’une basse à six cordes (Fender Squier VI pour être précis avec les accros du genre) et en profita au passage pour épaissir le trait sans jamais l’alourdir. Dans la dynamique collégiale du trio, Stéphane Payen développa un discours de funambule pour un périscope intrigué pensant qu’il allait choir mais qui toujours garda l’équilibre, quelles soient les surprises offertes à l’auditeur attentif. Derrière ses fûts, Tom Rainey sut donner de l’espace et du contraste au mouvement créatif avec une geste assurée et méticuleuse. Dans un interlude minimaliste atemporel, il se paya en outre le luxe de faire respirer à l’unisson l’ensemble du public avec un balai et une caisse claire, administrant à cette dernière des caresses délicieusement inavouables ; ce qui me fit songer que cette musique aux confins diffus ne dédaigna pas d’être charnelle dans sa souplesse et charnue dans ses contours. Trop belle pour être honnête ? Allons, il ne me fallut pas plus d’un instant pour savoir qu’elle était par essence trop honnête pour ne pas être belle. Surgie d’une rencontre circonstancielle et authentique, d’une fraîcheur première, elle sut rassurer les quelques humains présents dans la salle sur les capacités de la liberté à s’exprimer encore ouvertement. Ce n’est pas rien et cela donna à l’automne en cours d’autres couleurs et, sur le chemin du retour, au vent humide d’autres senteurs. Ce n’est pas rien, disais-je ci-avant. Je le répète, ce n’est pas rien, juste dans le cas où vous seriez d’horribles et superficiels adeptes de la lecture en diagonale.


Dans nos oreilles

Erroll Garner - One world concert


Devant nos yeux

Jacques Roubaud - L’exil d’Hortense


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