Après une Saint Valentin swingante à souhait, retour à l’improvisation et aux territoires inconnus dans l’enceinte du Périscope avec The Bridge #2.3
Soixante-et-unième équipée
Pour la première fois de l’année au lyonnais Périscope de derrière la gare pour suivre l’aventure « The Bridge », intitulé cette fois-ci « #2.3 ». Soyez gentils, ne me demandez pas pourquoi. Non pas qu’on ne me l’ait pas expliqué, mais bien parce que je n’ai pas retenu l’explication. Si avec les chicagoan Marvin Tate aux spoken words, Gerrit Hatcher au saxophone ténor, Lia Kohl au violoncelle, et les français Gaspar Claus, également au violoncelle (augmenté de quelques instruments étranges et autres effets électroniques), et Erwan Keravec à la cornemuse, l’affiche était à mon corps défendant une belle inconnue, j’étais par avance assuré que l’improvisation serait la pierre angulaire de cette soirée franco-américaine car c’est bien propos initial de cette aventure transatlantique que de privilégier ce type d’expression musicale. Les cinq allaient donc, en ce 22 février 2020, se rencontrer à la croisée des chemins et faire un bout de route ensemble en évitant de finir dans le décor. Restait à savoir quels seraient les paysages parcourus, à quelle vitesse, le regard clos ou non et dans quels univers ils tendraient à me ballotter. Mon seul souci préalable était la mention d’une cornemuse dans le line-up. Je l’avais beaucoup entendu, sans jamais réussi à vraiment l’écouter lors de mon long passage en terre écossaise au début des années quatre-vingts et sa sonorité dans ma mémoire n’est pas, aujourd’hui encore, un souvenir ineffable. Mais il faut savoir prendre des risques. Je ne suis pas né pour sucer la poire de Benny Goodman de club en club jusqu’à la fin de mes jours.
Dans un club étonnamment bondé au vu d’une affiche à l’exotisme improvisatoire marqué, j’eus droit à une musique moins folle que je ne l’avais pensé. De longues nappes sonores en mélopées, de mots scandés et mimés en jaillissements ponctuels, de plages aux abords du silence en crescendos rugissants, les cinq musiciens inventèrent un univers baigné dans une vastitude aux contours mélodiques aisément assimilables par mes pavillons. Le saxophone ténor fut brut sans être brutal, très ouvert sur une forme d’intimisme abstrait et proche de la déchirure. Lui faisant face, le cornemuseux sut insérer les spécificités de son instrument dans l’actualité contextuelle de la musique proposée et je n’eus pas à trop souffrir de la sonorité si particulière de la note tenue, cette fameuse note qui peut en mener certains vers des terres anxiogènes et dangereuse pour leur santé mentale. Au centre de la scène, Marvin Tate livra un discours allant du black power au gospel, l’ensemble étant lié par les mots d’une histoire personnelle exprimée avec une sincérité non feinte. Théâtral sans exagération, il fut convaincant et sut mettre son discours au service du collectif. À ses côtés, le violoncelliste français donna du corps au propos musical par l’utilisation des effets, créant ainsi des textures extra acoustiques qui placèrent le quintet dans une forme moderne d’expression sonore. En miroir, la violoncelliste américaine exprima, avec un art consommé de l’étrangeté abstruse, un regard mélodique urbain, sans être bassement industriel. Elle le fit avec une délicatesse singulière, empreinte d’une poétique de l’instant subreptice, qui m’interpella et me ravit. Peut-être fut-elle, à l’instar du saxophoniste, la plus aventureuse de ce groupe sans nom qui proposa au final une musique transfrontalière, plus surprenante dans sa forme que dans son fond. Je notai enfin, avec un brin d’irritation, que le public fit un accueil timoré à ces musiciens, accueil qui traduisit, je le crois, un cruel manque d’ouverture d’esprit. Le comportement de certains bavards alla de fait jusqu’à l’irrespect. Mais les bonnes manières se perdent mon bon monsieur... et le goût pour la découverte sans filet aussi. Histoire d’achever ce billet sur une note aigre et grinçante, sachez que ce fut un autre 22 février (1944) que Robert Desnos fut arrêté par la Gestapo. Décidément un mauvais jour pour l’imaginaire créatif.
Dans nos oreilles
Enrico Pieranunzi - Trasnoche
Devant nos yeux
Alberto Vigevani - Une éducation bourgeoise