Après l’aventure improvisée du Périscope lyonnais et l’enfer funky du Crescent mâconnais, un retour aux fondamentaux était nécessaire.
Soixante-troisième équipée
Amérique terre de contraste… Je pourrais dire la même chose de Montluçon, mais là n’est pas le propos. Après une leçon d’improvisation chicagoane, version contemporaine tendance underground avec un soupçon d’élitisme bon teint, je fis la semaine dernière connaissance avec Andrea Miller, une jeune états-unienne, basée à Los Angeles, dont je n’avais encore jamais entendu parler avant qu’elle ne pose sa voix au Bémol 5. Accompagnée par le guitariste Xavier Bozetto, le vibraphoniste Armen Paronikyan et le contrebassiste Yann Phayphet, en soi une configuration propre à la nuance, elle fit sans effort de la scène du club son terrain de jeu. Au premier set, elle aligna des standards bien connus. Et je ne peux te donner rien d’autre que de l’amour, baabbyy, et d’ailleurs je commence à voir la lumière, surtout depuis qu’il y a Georgia dans mon esprit et qu’elle me roque, baabbyy à la BB Roi, comme une alouette des champs sur un morceau d’Antoine Charles Jobim. Elle chanta bien, je le dis, avec une conviction non feinte et des capacités évidentes à glisser sa touche personnelle dans les historiettes de Broadway et d’ailleurs. Et comme elle fut techniquement à l’aise, puissante sans excès avec ce léger grain entres les cordes qui va bien, personne ne s’ennuya et je faillis laisser ma salade refroidir dans son assiette. Et fin du premier set. Quant au second, je n’y assistai pas. De fait, après trente-cinq minutes d’attente et aucun signe encourageant d’une reprise rapide des hostilités, je me décidai pour un retour anticipé à la casbah. La dame avait annoncé un « short break », ce qui signifie courte pause et rien d’autre, si je ne m’abuse. Il eut été, de mon point de vue, sympathique de respecter un protocole ancré dans les mœurs, non pas qu’il soit intangible mais bien que sa brève durée permette aux spectateurs de ne pas perdre le fil, de rester dans l’ambiance. Le 28 février 2020 devait sans contredit être un de ces jours où il faut savoir partir. Le même jour, mais pas la même année, en 1933 précisément et après que les nazis eurent supprimé les libertés civiques, Bertolt Brecht et Heinrich Mann quittèrent l’Allemagne pour échapper au pire. Moi, je me suis contenté de supprimer l’attente.
Dans nos oreilles
Joe Henderson - Relaxin’ at Camarillo
Devant nos yeux
Federico Garcia Lorca - Livre de poèmes