Soixante-septième équipée

Ce n’est pas que je m’emmerde, j’ai bien des choses à faire, mais j’éprouve un indéniable manque. Je ne m’étendrai pas sur le sujet, vous savez de quoi je parle. Ou plutôt si, je vais m’avachir sur le dit sujet, sur ce manque de concert qui tarabuste mon neurone comme on gratte la viande sur l’os. Bien que je puisse écouter de la musique chez moi, comme tout un chacun, que je n’en manque pas, loin s’en faut, je me surprends à souvent l’envisager comme une musique d’intérieur ; une musique du confinement ? Confinement, un terme qui a pour seul synonyme direct le mot réclusion. Ce dernier par contre en possède d’autres : bagne, claustration, cloître, détention, emprisonnement, exil, incarcération, internement, isolement et, pour finir, prison. Et si je cherchais les synonymes de ces derniers, j’arriverais à l’esseulement, à l’abandon, au délaissement et à la déréliction, à l’éloignement et à la solitude. Liste non exhaustive. Chacun pioche dans ce corpus le vocable qui lui sied ou l’embarrasse et l’applique à sa personne. A titre personnel, je choisis le mot mélancolie. Et le remède à la mélancolie peut-être, parmi d’autres possibles, est l’écoute de musique. Ceci écrit, quel que soit l’artiste qui se glisse dans mon lecteur ou émerge des réseaux pour sortir de mes enceintes, son travail musical, sa création, me semblent se rapporter à la quarantaine, la fameuse quarantaine qui occupe intimement notre quotidien, une musique d’intérieur en opposition avec la musique de rencontre dans ses sites d’expression privilégiés, clubs et salles de toutes tailles et de toute obédience. Cette musique d’intérieur possède néanmoins un imparable atout. Elle peut devenir une musique de l’intérieur, nourrissante autant qu’interrogative, provocante et caressante à la fois. Quant à moi, débarrassé de vision, sans image à capturer, sans regard à saisir, alangui (vautré) dans mon fauteuil par la force de l’événement, je perçois la forme d’intranquillité qu’elle engendre ; les notes impriment une marque plus profonde sur mon imaginaire, leurs mélodies, agressives ou non, hors de toute référence rythmique, s’expriment dans une dimension particulière qui me contraint à une acuité renouvelée. Le spectateur plus qu’habitué que je suis dans la normalité des temps paisibles devient alors, à nouveau, l’expérimentateur auditif alimenté par la création musicale d’une façon pleine et entière. Curieusement soucieux de détails insignes et singuliers, sujet à l’interpellation positive, ouvertement sensible à l’improbable et à l’inclassable, j’écoute. J’écoute, coûte que coûte, les musiques qui m’écoutent. Et devinez quoi, peu d’entre elles résistent et me satisfont durablement. Par delà leurs qualités, dont je m’accommode habituellement, je sens qu’elles naviguent à ma surface. Elles tentent bien de plonger la tête ou le corps entier pour m’atteindre mais je regimbe, je me cabre, je renâcle, et j’en viens à songer qu’en moi l’espace propre à leur accueil est moins grand que je l’imagine. De ces musiques qui font passer le temps je m’éloigne malgré moi (grâce au moi ?). Celles qui l’arrêtent m’engraissent quelque peu. Seules celles qui me permettent de l’oublier m’excitent encore et parviennent à me rassasier, pour un temps bien sûr. Accroire que je combats la vieillesse en loucedé est à cette aune crédible et insoutenable. Mais à l’évidence, que je le veuille ou pas, l’inconscient sur sa branche a l’outil dans la main et le final est toujours sans tambour ni trompette. C’est en soi une fin de soi. Et le suaire recouvre le silence. Juste le silence. Et de mon vivant, du silence, j’en débusque entre les notes chaque jour, à chaque écoute, et son goût (le goût de ses substances) m’est toujours plus familier et essentiel ; quintessenciel serrait un néologisme adéquat pour le coup. Foin des scories, du résiduel, de l’accessoire et de l’adventice. Je peste, je maudis, je vitupère ; l’emphatique, le grandiloquent et le tarabiscoté m’éreintent. Après tout et avant le rien futur, de combien de disques ai-je en vérité besoin pour agrémenter ma petite survie, mon terrestre intérim ? Je vous le cache sans honte ni remord. Je mets les voiles et rien je ne dévoile. Au silence je confie la musique avant de me confire là où in fine je confine. Je n’ai rien contre personne, je ne fais jamais barrage au pacifisme, mais j’ai un rêve à finir. Et sa petite musique, de jour comme de nuit, bien tempérée est une offrande qui me convie à la fugue. C’est tout un art qui me réclame à voix bassement ténue. Je me dois de l’écouter.


Dans mes oreilles

Un truc bien tempéré


Devant mes yeux

Françoise Héritier - Le sel de la vie