Soixante-douzième équipée

L’autre soir, si je connaissais plus que bien le guitariste Jean Louis Almosnino, je n’avais en contrepartie jamais entendu parler de Jane Cockell, chanteuse anglaise, installée en France, formée au chant lyrique mais nullement indifférente au jazz, à la liberté et tout le toutim’. Allez Zou ! (comme on ne dit plus) Faites péter les standards du jazz, de la pop et de la soul, l’art du duo et tout le saint Frusquin. Qui paierait la première tournée ? Je m’en foutais, c’était l’été. J’étais au Bémol 5 et j’avais entre les mains un truc à fixer les visages pour en faire des images atemporelles. Un deux juillet 2020. Le même jour en 1930 naissait Frederick Russell Jones, un pianiste connu depuis 1952 sous le nom d’Ahmad Jamal. Ceci posé tout à trac, je passai la soirée dans une salle de milieu de semaine, peu fournie donc, à écouter ce duo qui promena mes oreilles dans un spectre musical infiniment large. De Bill Withers à Duke Ellington en passant par Charles Trenet ou Serge Gainsbourg et d’autres, la chanteuse et le guitariste n’eurent de cesse de réunifier les mondes sonores, les genres et les langues avec un bout goût pour l’éclectisme totalement assumé. Jane Cockell, avec une voix riche en nuance et une diction parfaite sut impeccablement faire vivre des standards dont la pertinence ne se révèle que quand ils sont correctement interprétés. Sinon, ce ne sont que de vieux thèmes éculés quelquefois insupportables. Heureusement pour moi, la première option fut la bonne et elle mit du sourire dans ma soirée. Jean Louis Almosnino, à son habitude, fit montre d’une science subtile dans laquelle l’émotion prédomine constamment sur la technique. Ce qui me convient, vous l’avez compris. Le duo fut donc de choix et leur excellence musicale fut amplifiée par une présence simple et heureuse face au public (c’est loin d’être toujours le cas). En quelques mots, ils firent les choses sérieusement sans se prendre au sérieux. Appelez ça comme vous voudrez, classe, élégance, décontraction ou tout autre synonyme, mais le résultat fut là : ils embarquèrent le public d’un bout à l’autre des deux sets sans faire la moindre faute de goût. Et comme j’avais ma boite à pixels, la soirée fut parfaite.

Ce qui l’est moins (et très dommage), c’est que le Bémol 5 fermera ses portes définitivement le 18 juillet prochain. Avec à peine trois années d’existence, Yves Dorn et son équipe auront su faire vivre le jazz à Lyon, pas seulement le jazz de Lyon, dans un cadre chaleureux et accueillant que je vais pour ma part regretter. Déjà qu’il n’y a plus guère de jazz à l’Opéra de Lyon… Que va-t-il resté aux lyonnais ? Sans denier aucunement les qualités de programmations des quelques lieux qui survivent encore dans une métropole (c’est presque une métropale) avoisinant le million et demi d’habitants, pas grand-chose.


Dans nos oreilles

Bob Dylan - Rough and rowdy ways


Devant nos yeux

Javier Maris - Vies écrites