Avec le printemps ne disparaît pas que l’hiver, hélas.
dimanche 25 avril 2021
Une période d’épanouissement plénier, voilà ce que devrait être ce printemps, le deuxième d’un genre méconnaissable. C’est une saison mort-née. Quant aux graines de culture, elles demeurent sous serre ; nul lieu ouvert pour les recueillir. Sous les dômes translucides, elles peinent à savoir pourquoi elles poussent et quand l’accès au rayonnement solaire, à l’air libre et sans filtre, leur sera de nouveau autorisé. Mais il faut cela pour respirer vraiment, rien moins. Laissons-nous emporter par le vent favorable qui souffle dans nos voiles. Cervantès l’affirme dans son Don Quichotte. Qui n’en rêve pas ? À ce jour toutefois, le terreau fertile de la scène est cerné par des barricades sur lesquelles les vents se brisent. Et personne ne sait quand le terme échoira, quand le bar rouvrira car il y a toujours un comptoir sur lequel compter dans un lieu de culture respectable, un coin où la musique peut s’appuyer après que les notes aient fui la portée et beaucoup apporté à leurs amants d’un soir. Parmi ceux qui auraient voulu et aimé un printemps lyonnais simplement printanier, fringant, sémillant, fichtrement turbulent et mélodique, il existe (malgré tout) un contrebassiste qui en sera privé. Définitivement. Il s’appelle Stéphane Rivero. Je l’ai connu comme on connait un musicien qui hante les clubs, qui connait d’autres musiciens que je connais, et avec qui les liens se croisent plus qu’ils ne se tissent, à la vitesse d’une soirée en deux sets, une jam et un verre sur le zinc. Égal à lui-même, en toute circonstance, avenant et souriant, il aimait jouer avec tout le monde, les connus comme les inconnus, les gens du coin et les autres, les jeunes auxquels il enseignait la musique et qu’il encourageait toujours. La gentillesse faite homme ; ainsi est-il décrit par ses commensaux de tout bord et de tout lieu, moi y compris. Il se disait aussi, à bas mot, qu’il était trop humble pour faire une grande carrière (celle à laquelle tous les musiciens ou presque aspirent) ; trop naturellement imprégné d’altérité pour s’occuper d’édifier un chemin plus glorieux. Personne n’ose lui en vouloir. Il était son chemin. Je me souviens, alors que je le photographiais en scène, qu’il émanait de lui comme de son jeu une force paisible, faite d’une souplesse rugueuse qui inspirait confiance. Je me souviens également qu’il faisait partie de ces rares contrebassistes de jazz qui osent encore en ce siècle jouer des soli swinguant à l’archet, me faisant souvenir, bien qu’il ne chantât pas en même temps une octave plus haut, de l’inénarrable Slam Stewart. Il était juste cinquantenaire : une vie vouée au jazz, au monde du jazz. Peu importe qu’il fût reconnu. Les gens qui l’ont approché l’ont apprécié sans même savoir pourquoi, l’ont aimé en connaissance de cause, et pour tous sa présence est beaucoup plus forte que son absence. Laissons-le s’emporter par le vent favorable qui souffle dans ses voiles car c’était un jazzman ; il a dû interpréter le standard d’Alan et Marilyn Bergman, initialement écrit en 1968 pour le film The Thomas Crown affair, (reprise par Michel Legrand sous le titre Les moulins de mon cœur) The windmills of your mind. Les moulins à vent sont légendaires et l’âme de sa contrebasse en avait les clefs. Pas né de la dernière note et parti trop tôt, Stéphane Rivero, sur terre comme ailleurs, demeure un standard du jazz. Ce n’est pas à la portée du premier débiteur de croches..