Samedi 10 juillet

Il est des soirées qui s’annoncent bien, surtout quand on connait et apprécie les intervenants de la soirée. Ce fut le cas avec Thôt, quartet iconique dont les équations aiguisées biaisent avec l’obscur musical, l’éveillent et le transcendent. Et bien que les partitions fussent fraîchement sorties du néant, il n’en demeura pas moins évident que la polyrythmie et la nuance étaient comme à l’habitude présentes, que le mystère de la mathématique opérait encore et que le public ne fut pas forclos par l’univers du quartet. En soi, rien ne me surprit ce soir-là sinon la permanence du groupe dans l’excellence, un phénomène auquel je ne m’accoutume pas, pour mon plus grand plaisir, car il est exceptionnel que des artistes soient assez inventifs sur le long terme pour encore m’étonner. Ceci posé, les mathématiques sont depuis ma naissance (ou presque) un cauchemar (je me suis arrêté au calcul mental et c’est déjà pas mal) et peut-être est-ce la raison première pour laquelle la musique de Thôt me fascine. Oui j’aime ce que je ne comprends pas, ce que je subodore, ce que je pressens. Le miracle est là, il est musique, il me séduit et m’emporte, il vit sur le fil de ma temporalité, au creux d’une durée définie par les musiciens, et je laisse l’énigmatique, l’incongru et l’inénarrable se jouer de moi : en confiance. Je regarde chaque instrumentiste jouer et je constate que le résultat des opérations est sensible, vivant et pondéreux ; c’est une présence à la puissance je ne sais combien. Une chose est cependant certaine, c’était un mardi 06 juillet et devinez quoi, ce fut le jour choisi par Pasteur en 1885 pour administrer son premier vaccin contre la rage. Aujourd’hui on a la rage et des vaccins ; le changement dans la continuité.

En seconde partie de soirée je découvris deux parfaits inconnus, le pianiste Elias Stemeseder et le contrebassiste Felix Henkelhausen, dont les âges additionnés ne faisait même pas le mien. Ils étaient là pour accompagner celui pour lequel la majorité du public était venu (soyons clairs). Jim Black. Avant même que de jouer, ce dernier dit tout le bien qu’il pensait de la musique de Thôt et son plaisir d’être au Périscope. Cela pose le bonhomme, comme on dit. Derrière ses fûts, exact au rendez-vous, le batteur démontra à quel point il aime la musique et comme elle l’habite. Je ne reviendrai pas ici sur sa virtuosité et son inventivité patentes car, vous le savez comme moi, elles éclatent à chaque instant dans sa gestuaire de percussionniste fécond. À cette aune, ses deux jeunes acolytes me semblèrent un peu palots, non pas qu’ils furent débordés, juste qu’ils me parurent trop sages (bons élèves) et qu’ils me laissèrent l’impression de suivre le leader plutôt que de l’accompagner. Mais bon, se frotter au Black, ce n’est pas une mince affaire et s’il les a choisis, c’est que leur potentiel n’est pas une vue de l’esprit. Cela ne m’empêcha pas d’apprécier les boucles musicales, teintées d’un lyrisme prégnant, mises en place par le trio sous l’impulsion précise du Jim, même si je trouvai que l’ensemble tournait un peu en rond. Il eut été préférable pour le percussionniste qu’il s’acoquinât avec des cadors de son calibre. Là, il aurait véritablement mis la salle en émoi. Vous me direz que je fais la fine bouche, qu’après une année entière sans concert j’ergote un tantinet. Oui, et alors ?


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