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Vendredi 3 septembre 20h00
Grande salle Pierre Boulez – Philharmonie

A l’écoute du concert de cette soirée on peut se demander si la musique a quelque chose à voir avec le don tant les talents dont nous avons été témoin sont grands, que le talent est si difficile à définir à part être une combinaison de qualités qui peuvent faire telle ou telle chose, l’inné ici n’a pas sa place ou si peu, nous passerons sous silence la transcendance et l’immanence.

 

  • Première partie

Ambrose Akinmusire Quartet

Ambrose Akinmusire a lui le talent de mettre en œuvre des formes complexes qui parlent à nos oreilles tout sauf une surprise quand on sait que ses instruments favoris sont le violoncelle et la voix féminine. On se doute que l’auditeur (y compris votre serviteur) puisse par instant se perdre dans une musique aux méandres parfois abstraits mais ses compositions qui à l’écoute semblent être des improvisations collectives, relèvent aussi de structures et de lignes savamment construites. On peut s’interroger alors sur ce qu’est pour lui le jazz tant le sentiment rythmique pourtant bien présent se trouve dilué dans l’interaction entre les musiciens du groupe. Cette musique est alors ici de l’ordre du partage et si l’on pense au bebop, à Booker Little, aux concepts de Steve Coleman, par bribes au hip-hop, tout ceci se révèle encore trop réducteur pour évoquer l’art d’Ambrose. Pour des raisons acoustiques (la Philharmonie est une salle merveilleuse pour la musique de chambre, l’orchestre classique, ou les duos acoustiques), le batteur n’ayant pas bien pris la mesure de la salle, certaines finesses de cette musique se sont un peu perdues dans les cintres et c’est bien dommage tant cette première partie de soirée s’est avérée passionnante et riche. C’est donc dans les tempi plus lents voire même très lents que l’on a pu en apprécier tous les détails, Kweku Sumbry alors aux balais sur la caisse claire dans un trompe-oreille nous donnant l’impression d’être sur un tempo et une rythmique en décalage, les accords de Sam Harris apportant toute l’ambiguïté harmonique nécessaire donnant parfois l’impression de marcher sur des sables mouvants, mais c’est l’exceptionnelle richesse sonore d’Ambrose qui sur sa simple trompette dépourvue de sourdine nous faisait entendre soit le bugle soit le violoncelle soit la voix féminine conduisant ses mélodies vers une histoire qui passait du sombre à la lumière parfois de façon inattendue, nous maintenant dans un éveil permanent. Il est difficile d’en dire plus tant cette musique s’inscrit aussi et paradoxalement dans l’instant et donc également dans l’imprévu ce qui demande comme chacun sait beaucoup de préparation. Assurément un des grands talents de la musique qu’on nomme jazz aujourd’hui.

Ambrose Akinmusire - trompette, Sam Harris - piano, Harish Raghavan - contrebasse, Kweku Sumbry - batterie

https://www.ambroseakinmusire.com/

 

  • Seconde partie

Cécile McLorin Salvant & Dan Tepfer

Que dire de Cécile McLorin Salvant native de Miami à part qu’elle commença à chanter le jazz à Aix en Provence où elle se rendit afin de poursuivre à la fois ses études de droit et perfectionner son art du chant baroque. Que dire de Dan Tepfer américain né à Paris, à part qu’il commença à apprendre le piano dans les conservatoires d’arrondissement, qu’il est astrophysicien et qu’il aime autant le jazz que Bach, qu’il côtoya l’indépendant Lee Konitz grâce à Martial Solal et qu’il en sortit profondément marqué. Ne croyant pas à la destinée nous étions curieux ce soir d’entendre c’est deux là sur un répertoire principalement francophone. Nous savons que Cécile a le talent pour dénicher des chansons et des textes tombés ou restés dans l’ombre, de les dépoussiérer et de les passer par sa moulinette. Et c’est à cette aune qu’elle capte pour nous le plus l’esprit du jazz. Dénué d’aprioris nous avons pu entendre au plus près du texte Amour oiseau d’étoile d’Olivier Messiaen, Hôtel de Francis Poulenc et avec la liberté mélodique qui se doit le Père Noël et la petite fille magnifique texte politique et poétique de Georges Brassens, Once Upon a Summertime de Michel Legrand, Est ce ainsi que les hommes vivent le poème d’Aragon mis en musique par Léo Ferré, Ma plus belle histoire d’amour Barbara, une intrigante pièce L’Espérance de Dan Tepfer sur un poème de Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort (1741-1794). Pour les mélodies à caractère lyrique Cécile a eu la bonne idée de ne pas utiliser sa voix lyrique ce qui se serait avéré totalement inopportun, certes Messian a du se retourner dans sa tombe mais il n’est plus là pour gronder, Poulenc aurait certainement apprécié l’audace et il faut souligner l’extraordinaire capacité de Cécile à passer du grave aux aigus et vice versa sans rien perdre de son timbre, d’adapter ses improvisations aux textes des chansons qu’elle interprète, Cécile ayant aussi le suprême honneur de ne pas s’adonner au scat. Son association avec Dan Tepfer est récente et encore à l’ébauche et quand on connaît l’éclectisme du pianiste capable de jouer des pièces contemporaines, un simple blues ou un standard, l’impatience nous guette d’entendre ce que tout cela pourra donner dans le futur. Enthousiasme du public qui en redemande, deux rappels dont un blues et Cécile qui nous montre qu’elle n’oublie pas la tradition et qu’elle a tout aussi bien étudié et écouté Bessie Smith que Poulenc/Messian et pour conclure un standard dans son plus simple appareil If I Should Loose You.
Merci.

ps : nous pouvons que vous conseiller d’aller jeter un œil sur le site de Cécile étant aussi une graphiste de talent

Cécile McLorin Salvant - chant, Dan Tepfer - piano

http://www.cecilemclorinsalvant.com/
https://www.dantepfer.com/


Non nous ne croyons pas aux dons et n’avons pas grand chose à faire ou si peu avec l’inné mais nous croyons au talent, cette capacité d’apprendre à savoir faire telle ou telle chose avec ce qui peut ressembler parfois au hasard lui qui peut si bien faire les choses. D’ailleurs paraît il que l’Univers est né de cette façon et qu’il, le hasard, nous offre la nécessité de rencontres comme celles de ce soir.

https://jazzalavillette.com/fr/