Duke Ellington (le plus présent des jazzmen morts) et Eric Dolphy (un mort bien trop discret) comme vous ne les avez jamais écoutés.
Americas Music Works
Peter H. Bloom : flûte
John Funkhouser : piano
14 parmi les plus grands classiques de Duke Ellington joués en duo piano-flûte, voilà qui n’est pas banal. Habitués que nous sommes aux versions orchestrales, on oublie parfois les interprétations du Duke lui-même en duo de piano avec son alter ego Billy Strayhorn par exemple, ou encore « Money Jungle » en trio avec Charles Mingus et Max Roach, qui conservent toujours une construction orchestrale. Cette dimension se retrouve dans le jeu du pianiste John Funkhauser, tandis que Peter Bloom semble faire passer tous les vents par le seul canal de sa flûte. C’est osé, dira-t-on. Il fallait deux maîtres musiciens pour tenter et réussir la gageure. Tous deux sont parmi les membres les plus fidèles de l’Aardvark Jazz Orchestra, le fantastique big band que dirige Mark Harvey dont Bloom, fait partie depuis 1978, tandis que Funkhouser, un peu plus jeune, n’y est entré qu’en 1993, ce qui fait déjà un bon bout de temps*. Construisant, structurant et relançant sans cesse l’assise ellingtonienne, il permet à son compère d’effectuer des improvisations aussi vertigineuses qu’elles sont également structurées. La prise de son accentue la résonance et la dimension spatiale de la musique. Les deux amis font réellement corps et vous entraînent dans un parcours passionnant.
* cf. Culturejazz : Mark Harvey et les âmes, 16/08/2020.
Jean Buzelin
Samo Records
Samo Salamon : guitares acoustiques à 6 et 12 cordes (5 plages), mandoline (1 plage)
On ne voit souvent en Eric Dolphy que l’improvisateur prodigieux (au saxo alto, à la clarinette basse et à la flûte), mais le compositeur mérite d’être redécouvert. Une excellente et insolite façon de le faire est de se mettre à l’écoute du guitariste slovène Samo Salamon*, lequel a profité des “loisirs” offerts par la pandémie pour ne pas rester inactif et concevoir ce projet grandiose : transposer pour la guitare acoustique toutes les compositions personnelles enregistrées, certaines plus souvent que d’autres, par celui qu’il considère comme l’un des plus grands créateurs du jazz**. Soit 26 pièces réparties sur deux CD que complètent chacun les deux versions de Inner Flight (dont une à la mandoline !) improvisées par Dolphy à la flûte solo en 1960. Les arrangements du guitariste font parfaitement ressortir la grande diversité et la complexité des compositions sur lesquelles il improvise, tantôt librement, tantôt en s’appuyant sur les structures harmoniques.
Samo Salamon, dont on appréciera la technique, la virtuosité et lle plaisir de jouer, a enregistré chez lui, à Maribor, dans son salon et avec un seul micro, cette œuvre complète, chaque pièce ne faisant l’objet que d’une seule prise. Un disque exceptionnel !
* J’ai découvert Samo Salamon grâce à son duo avec Hasse Poulsen, cf. Culturejazz : Et pourtant ils tournent..., 11/11/2021.
** Son investissement total dans cette entreprise s’illustre sur la pochette où son profil se confond avec celui de son maître.
Jean Buzelin