Vendredi 18 novembre 2022

Qu’est-ce qu’une légende vivante ? Je me posais la question l’autre soir car j’avais lu sur le site du club mâconnais que je préfère que Billy Hart en était une. La réponse adaptée pourrait être la suivante : c’est un type qui jouait avec Wes Montgomery l’année de ma naissance. Et ça commence à être ancien… Je n’en suis certes pas au carbone 14 pour dater mes abattis, mais tout de même, en cette glorieuse époque, il y avait encore des locomotives à vapeur sur le réseau ferroviaire. Les réseaux d’aujourd’hui, quant à eux, n’existaient pas, Elon Musk était possiblement dans les couilles de son père, et les influenceurs s’appelaient Aron, Camus ou Sartre. Mais Billy s’en foutait (peut-être), il avait des fûts et des cymbales, des baguettes et des balais, et du jazz plein la tête. Vendredi dernier, accompagnés par deux gamins à peine cinquantenaires, du jazz, il en avait encore plein le corps, et autant d’énergie à dépenser, pour le plus grand bonheur d’un public nombreux qui n’aurait raté ça pour rien au monde vu que les nobles footeux aux chiottes l’arbitre va te faire enculer on a gagné n’avaient pas débuté leur Qatarsis. Bref, sur scène, nous avions une équipe de trois (en jazz, cela s’appelle un trio) et ils étaient déjà qualifiés pour toutes les finales depuis que la lurette est belle. Ce qui fut patent sur scène résida dans la complicité pleine et entière qui les anima d’un bout à l’autre des deux sets. Dans le désordre, une entame avec Metheny, une composition de Kevin Hays, un Monk, I remember april, je passe quelques titres, et le final avec un autre titre du chevelu à marinière, histoire de boucler la boucle. Ils me scotchèrent les bougres, je ne fus pas le seul, avec leur musicalité ultime. Tout me parut simple. Le pianiste au toucher cristallin tourna autour des thèmes avec finesse. Le contrebassiste à la ron-deur ample serpenta entre les lignes en tenant la baraque. Billy Hart, avec cette sonorité si particulière et qui lui est propre, avec cette capacité à faire résonner le silence entre les coups de baguette ou les caresses des balais, toujours en regard du discours de ses comparses, les yeux attentifs au point d’impact choisi, Billy disais-je, il fit swinguer l’ensemble avec une clairvoyante retenue. S’il prit quelques soli, il n’en fit jamais trop. Il accompagna ses accompagnateurs en se gardant bien de tirer la couverture à lui. Il eut pu le faire et personne n’aurait trouvé à redire. Il demeura modeste (quitte à être immense, autant entretenir la légende, n’est-ce pas…) en étant juste le membre d’un trio parfaitement équilibré, capable d’une décontraction absolue, qui enchanta ma soirée ; un 18 novembre précisément, jour de naissance de la grande (et toute petite) Sheila Jordan (1928). Sachant qu’elle est toujours active, je l’aurais volontiers vu débarquer pour un bœuf avec Billy, Ben et Kevin. Mais si je ne pouvais pas tout avoir, j’avais déjà la pluie, la route à faire et un lever aux aurores en vue, je me gardai l’indispensable droit au rêve car, en ces temps de grisaille inflationniste, comme en toutes circonstances d’ailleurs, c’est gratuit et plaisant.


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