Trois concerts entre le Calvados et la Manche pour ce début janvier 2023... Suite de cette mini-série avec Yves Rousseau mais avec son septet pour "Fragments" cette fois. C’était le 13 janvier à l’Espace Culturel de Lessay (Manche).
Trois concerts en Normandie occidentale pour débuter 2023, sans fanfare mais allègrement tout de même : Vincent Lê Quang Everlasting Quartet (lire ici), Yves Rousseau Septet et Codex III (Régis Huby, Bruno Chevillon et Michele Rabbia). De Caen à Sottevast en passant par Lessay, dans le Calvados et La Manche. Trois moments de musiques bien différentes à déguster entre les gouttes avant que n’arrive la tempête prénommée Gérard qui a balayé notre paisible région dans la nuit du 15 au 16 janvier. |
Lessay (Manche) - Espace Culturel
Vendredi 13 janvier 2023 - 20h30
Pour une fois, l’attente avant-concert n’est pas parasitée par la diffusion du dernier album sur lequel a flashé le sonorisateur, souvent peu en rapport avec le concert à venir.
Non, ce soir, le volume de la salle est discrètement habité par une ondulation sonore juste perceptible venue des modules d’un synthétiseur. Ambiance légèrement planante qui va nous ramener vers les années 70, pour entrer dans ces fragments musicaux, assemblage des souvenirs rêvés des années lycée d’Yves Rousseau.
"Je me trouvais alors totalement bouleversé, transporté par toutes ces nouvelles sonorités propres au rock, progressif ou non." écrit le contrebassiste-compositeur. "Tant de groupes magnifiques : King Crimson, Yes, Supertramp, Genesis et son album live devenu mythique "Seconds Out"... Je découvrais seulement ensuite des groupes comme Soft Machine ou Gong, mais aussi Caravan, Emerson, Lake & Palmer, Led Zeppelin, The Who, Jethro Tull, pendant que je commençais à mesurer l’unicité du génie de Jimi Hendrix."
Se démarquant de son ami (également fan de ces musiques), Franck Tortiller, Yves Rousseau n’a pas souhaité donner sa relecture de ces musiques. Il a écrit, à sa façon, un hommage à cette époque très inspiré et forcément distancié. Il mêle la diversité de ces influences en un ensemble de compositions originales en cohérence avec son cheminement artistique au fil du (presque) demi-sièle qui nous sépare de la période de référence.
De part et d’autre de sa contrebasse à cinq cordes, on aura le côté plus jazz à droite avec Jean-Louis Pommier, Thomas Savy et Géraldine Laurent pour donner les couleurs naturelles des anches et du cuivre à cette musique. À sa gauche, la jeune génération avec Vincent Tortiller (le fils de...) qui assure avec maestria un solide ancrage rythmique à l’ensemble, Étienne Manchon aux claviers (auquel échoit aussi la direction du septet) et, entre les deux, un guitariste un peu moins jeune mais tout aussi fringuant, Csaba Palotaï, né à Budapest en 1972... période fertile du rock progressif. Robert Fripp se préparait à enregistrer Larks’ Tongues in Aspic avec une nouvelle mouture de King Crimson...
Nous avions suivi les premiers pas de ce projet à travers les pages de CultureJazz et ce dès le printemps 2019 (concert au Triton, club parisien relaté par Armel Bloch) puis en septembre de la même année au Studio de l’Ermitage (lire ici - Pierre Gros) sans oublier le disque paru à la fin 2020 sur le label nantais Yolk (chronique d’Yves Dorison - OUI !). Un ensemble de points de vue qui louait les qualités de l’ensemble et la pertinence de l’écriture musicale. Il me tardait donc de découvrir cette musique en concert puisque l’occasion ne s’était pas encore présentée. C’est dans le cadre du programme Villes en scènes proposé par le département de la Manche que fut programmée cette micro-tournée de... deux dates à La Haye-du-Puits et Lessay.
"Yves Rousseau est un jazzman, donc un individu qui a l’inventivité chevillée au corps et une créativité souvent zappatiste (avec deux P, ne mélangeons pas tout) lui permettant de triturer son langage musical en tout sens." écrivait Yves Dorison dans sa chronique du disque. C’est très précisément ce que nous avons entendu et écouté avec délectation ce soir-là. Une musique actuelle nourrie du passé et nullement passéiste, en prise avec le présent comme en témoigne l’énergie de la jeune génération de musiciens conviés à apporter leur pierre à une suite de compositions qui se construit dans l’action. C’est bien cela l’esprit du jazz, non... même si les couleurs diffèrent des clichés trop souvent accolés à cet univers musical. Une musique qui se nourrit de l’énergie rock tout en modulant l’intensité pour ménager des temps paisibles où les vents se répondent comme dans un choral de Bach. Un art que maîtrisait justement le groupe King Crimson.
C’est peut-être cette créativité en patchwork qui a quelque peu figé une partie du public nombreux, très divers et sans doute peu familier de ces cheminements artistiques. La surprise freina un peu les applaudissements qui finirent par monter en puissance. Preuve qu’il faut faire preuve d’audace dans les programmations pour ouvrir les portes de la découverte... Continuez !
Il fallait y être pour voir un Jean-Louis Pommier très remuant, porté par cette musique qui l’inspire (il a produit l’album !). Plaisir d’écouter Géraldine Laurent se lancer dans un chorus endiablé, rencontre improbable entre l’Elton Dean de Soft Machine et Steve Coleman dans une atmosphère électrisée par les claviers d’Étienne Manchon et les sonorités maîtrisées de la guitare de Csaba Palotaï. Plaisir aussi d’écouter un ensemble soudé et complice qui rassemble les générations de musiciens par-delà les étiquettes et les cloisonnements des genres musicaux. Un projet fédérateur et enthousiasmant, évidemment !
Yves Rousseau : contrebasse, compositions / Géraldine Laurent : saxophone alto / Thomas Savy : clarinette basse / Vincent Tortiller : batterie / Csaba Palotaï : guitare / Étienne Manchon : claviers, direction.
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