Attendu en trio à Bordeaux l’été 2013, Keith Jarret y arrive finalement en solo en juillet 2016. Christian Ducasse nous raconte ce concert publié par ECM sous le titre "Bordeaux Concert", tout simplement... Un récit qui vaut bien une chronique !
Attendu en trio à Bordeaux l’été 2013, Keith Jarrett y arrive finalement en solo en juillet 2016. L’épopée du trio (Gary Peaccok - Jack deJohnette) n’est plus d’actualité depuis la fin de l’année 2014.
Persiste cette année 2016 pour le pianiste une exigence des hauteurs, un protocole adapté à ses besoins, une tournée estivale européenne en 5 dates. Effacé le camp de base dans une villa dans l’arrière-pays Niçois où toute la troupe se réunissait jadis en mode villégiature. Jarrett et un petit staff résident deux semaines ce mois de juillet dans un grand hôtel de la promenade des anglais. Manager, ingénieur du son, kiné, compagne, amis très proches, la petite équipe se déplace en avion privé pour honorer chaque apparition du maestro. Budapest 3 juillet, Bordeaux 6 juillet, Vienne 9 juillet, Rome 12 juillet, Munich 16 juillet s’affichent au planning.
Par quel miracle Bordeaux figure-t-elle sur l’agenda de Jarrett au milieu d’illustres capitales de la musique ?
Tout repose sur une fidèle relation entre Keith Jarrett et le promoteur girondin Jean-Jacques Quesada, plus connu pour son festival « Jazz and Wine » que ses activités de saxophoniste émérite. Une confiance bien placée tant les contraintes liées à la tenue d’un show de Jarrett découragent nombre d’organisateurs souvent peu attentifs à la création musicale. Tout le contraire de Jean-Jacques Quesada conscient des enjeux à la fois logistiques et artistiques, engagé dans de possibles tourments.
Fin d’après-midi ce mercredi, deux limousines de marque Allemande accueillent la troupe dans une enceinte privée de l’aéroport de Mérignac, direction l’auditorium de l’Opéra où le gala est annoncé pour 20h. Trois grands pianos Steinway sont requis contractuellement, une première mise en tension pour tous les hôtes de Jarrett. On ne mesure pas vraiment ce moment où de manière cruciale, Keith Jarrett va choisir son instrument, formuler des demandes particulières qui ne manquent pas de perturber des facteurs de piano réputés expérimentés. Affaire gérée, soulagement, moment de restauration en mode plateau repas ordinaire, la gastronomie locale ne figure pas au menu, ni le vin proposé par le passionné Jean-Jacques Quesada.
20h15 : deux parties sont annoncées par Jean-Jacques Quésada, détaillant aux 1453 auditeurs quelques conditions pour que tout se déroule dans l’harmonie entre le podium et la salle bondée.
L’intégralité de la musique jouée par Keith Jarrett figure dans le disque « Bordeaux Concert », 13 pièces numérotées dans l’ordre chronologique. Édition par le label de Manfred Eicher, ECM. Elle dit toute la singularité créative de l’étape Bordelaise en regard de celles déjà documentées (Munich et Budapest).
Première partie irriguée de sept pièces, habitées, souvent courtes, introspectives, architecturées, gorgées de beauté. Jarrett à un haut niveau de technique, condition physique étincelante, gémissant dans une respiration dont il a le secret. On mesure alors en en quoi l’exigence quasi obsessionnelle d’un piano de compétition importe. Le public après avoir retenu son souffle exulte à l’issue de chaque interprétation, emporté par ces instants inédits.
Sur le trottoir du cours Clémenceau jouxtant l’auditorium, des spectateurs échangent leur surprise à vivre un tel moment.
Reprise et d’emblée, pièce VIII du disque, un blues des abysses dans la plus pure tradition. Jarrett poursuit son récit tout d’inventions et ré-inventions mélodiques jusqu’à prolonger par deux rappels. Clap de fin à 22h05.
En coulisse, satisfaction générale. Le locataire d’un jour de l’auditorium de l’Opéra de Bordeaux soulagé mais surtout gratifié et remercié par Jarrett lui confiant son bonheur du moment. Jean-Jacques Quesada peut laisser ses invités regagner nuitamment l’aéroport de Mérignac : mission accomplie pour tous.
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