Un trio qui envoie du lourd, celui de Luke Stewart, au Périscope. Bonne pioche.
Jeudi 11 mai 2023
C’est déjà le 131ème jour de l’année, le jour qui vit disparaître Johnny Hodges en 1970. Déjà ? Je vous le dis, le temps ne passe pas, il s’évanouit à la vitesse de Guy l’Éclair. Et que reste-t-il aujourd’hui de cet alto qui fut célèbre avant que Parker ne déboula ? Ben des disques quoi… qu’il est possible d’écouter et une phrase d’Ellington prononcée quand The rabbit mourut : « en raison de cette grande perte, notre orchestre ne sonnera plus jamais comme avant. » Ce qu’il fallait dire. Et quel rapport avec le contrebassiste et activiste Luke Stewart ? Aucun, sinon le jazz. Ce qui en soi est plus que suffisant. D’ailleurs, le black power trio du contrebassiste, avec Brian Settles au saxophone ténor et Warren Crudup III à la batterie, n’évolua pas dans la sphère de cette autre époque. Et bien que les thèmes interprétés furent réduits à leur expression la plus simple, ils ouvrirent d’autres portes dans l’imaginaire du public qui, pour une fois, était relativement nombreux (fin d’hibernation peut-être). Inlassablement répétés et sujets à la variation perpétuelle, en intensité comme en rythme, ces bribes mélodiques débouchèrent sur des séquences free fort bienvenues mais que j’eusse aimé plus radicales. La raucité charnue du saxophoniste me fit croire un bref instant au retour de David S. Ware, mais je constatai rapidement que Brian Settles n’avait pas en lui l’hébétude de celui qui sait tout lâcher et confier son âme à une imperceptible et improbable cosmogonie des possibles. Il n’en demeura pas moins qu’avec une rythmique particulièrement ample, rugueuse et déterminée, le saxophoniste sut garder le cap et participer à l’événement avec un talent idoine. Homogène en diable et ancré dans une écoute très active, le trio enfila les morceaux sans interruption jusqu’au rappel, ne laissant aux spectateurs que le droit aux exclamations de ravissements et autres sifflets approbateurs. Et pas de balade pour finir. Plutôt un brûlot bourré de souriante énergie achevé en rigolade de bon aloi entre le batteur et le contrebassiste ; les musiciens étaient visiblement heureux d’être là face à un auditoire très participatif et, oui, je dus malgré moi supporter les râles extatiques du voisin dans mon dos durant tout l’exercice. Le bonheur a quelquefois des modes d’expressions orales assez déconcertants et énigmatiques sous forme de gargouillements à la musicalité discutable. Ayant récemment lu que la musique pouvait potentiellement provoquer un orgasme, je notai que ces douloureuses vocalises semblèrent néanmoins ne pas appartenir à ce registre. Elles furent plus proches du cochon égorgé à l’ancienne dans la cour de la ferme. Fin de chantier. Sur la route du retour, de boudin il n’y eut point et j’écoutai la révélation pop folk du moment, Oracle Sisters. Pas mon habitude à vrai dire, j’avoue, mais pour le coup, je trouvai chez ces trentenaires une inspiration certaine et un son bien à eux qui les démarque clairement de la soupe ambiante. Leur musique d’aujourd’hui fait référence à un passé dépassé et toujours vivace dans la tête de ceux qui l’ont connu (qu’on l’accepte ou non, nous sommes la proie de la nostalgie) ; j’imagine qu’ils le savent et qu’ils en jouent. Quoi qu’il en soit, c’est assez cool et mélodique, plein d’harmonies, animé d’une pulsion donnant au tempo le temps qu’il lui faut, et des traces perdurent dans les oreilles, ce qui est bon signe. Ceci dit, les essuie-glaces tournaient à plein et quelques subtilités durent m’échapper, quelques imperfections aussi, l’âge de mon carrosse étant déjà avancé et sujet à un barouf parasite plus industriel que musical qui, lié au bruit de la pluie, donna une tonalité d’ensemble problématique. L’expérimentation improvisée, il n’y a que ça de vrai.
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