vendredi 09 juin 2023

Criss Cross Trio :

Philippe Gilbert : saxophone alto
Fred Meyer : guitare
Sébastien François : contrebasse

Hier, j’assistai à un concert à dix kilomètres de mon domicile. Sachant que le premier club de jazz est à quarante bornes, ceci est un exploit. Alors quoi ? C’était un concert privé. S’ils existent et augmentent depuis plusieurs années maintenant dans les grandes villes, les concerts privés sont plus rares dans nos campagnes. À ma connaissance, ils nous viennent d’Amérique du nord, mais je m’en contrefiche allègrement. Si tant est que cela soit une opportunité pour les musiciens, cela démontre que les scènes de jazz ne sont pas assez nombreuses pour absorber toute la créativité d’un genre musical qui se porte bien, sauf dans les médias où le tenants du business bloquent sur des têtes d’affiches, toujours les mêmes ou presque, et ignorent de leur superbe celles et ceux qui pourraient être les locomotives d’aujourd’hui et les légendes de demain. Mais bon, il faudrait faire un effort d’écoute, ne plus se fier au nombre de vues sur Toitube, être curieux et avoir envie de partager avec le plus grand nombre des artistes au talent incontestable qui ont le grand tort d’ériger l’exigence musicale en mantra. Faudrait voir à ne pas nourrir l’auditeur lambda avec de la musique exigeante, il pourrait soudainement se mettre à réfléchir et, qui sait, il serait même capable d’aller voter en conscience. Avouez que cela ferait tache dans le décor actuel. Le barbu de C8 inviterait Norma Winstone ou Elise Caron, Delahousse s’entretiendrait avec Thumbscrew, Eivind Aarset serait invité dans la matinale d’Europe 1 et Léa Salamé discuterait avec Joëlle Léandre. Pas sérieux tout ça. Mais je m’égare. Hier donc, en début de soirée, le trio Criss Cross était sur la terrasse d’une maison à Curtil sous Buffières (environ 90 habitants et un bar tabac). Ce qu’ils aiment, depuis bientôt six ans, et ce qu’ils firent devant une vingtaine de personnes, c’est jouer majoritairement des thèmes de Monk et Mingus. Un saxophoniste alto, un guitariste et un contrebassiste, du feeling et quelques arrangements entre amis, une composition originale en hommage à Jeff Beck (qui est encore tiède, Jeff, pas la composition), une Worksong des familles (ça, tout le monde connaît, la faute à Nougaro) et le tour fut joué, et bien joué qui plus est, même si les oiseaux qui chantaient n’étaient pas dans le rythme. Les vaches, elles, eurent le bon goût de la fermer. Quant au public du coin, loin d’être féru de jazz, il n’en fut pas moins heureux de découvrir cette musique, avec la proximité qu’impose le genre, et ravi d’avoir un accès direct aux musiciens après le concert, de pouvoir s’entretenir avec eux. Mais bordel de nom de dieu ! Ça craint du boudin ça, avec des pareilles conneries du lien humain pourrait se créer. Pas raisonnable pour deux sous. Fort heureusement, ce fait d’arme révolutionnaire à la nuit tombante ne fut pas dénoncé à la maréchaussée. C’était un 09 juin, une date d’ores et déjà mythique et un jour qui vit naître Cole Porter en 1891 et l’ex de Vanessa P en 1963. Aucun rapport musical entre les deux, voire les trois si l’on compte la dame à Joe le taxi. Ce fut également le jour choisi par Claudio Arrau pour lâcher l’ivoire (1991). C’est déjà loin.