Dimanche 25 juin 2023

Votre serviteur continue à faire dans le jazz local en circuit court. Mais avant de vous relater cela, laissez-moi vous dire que la disparition de Peter Brötzmann jeudi dernier m’a collé un sacré coup sur le crâne. Quatre-vingt-deux ans, ce n’est pas un âge pour mourir, bordel ! Et dans son sommeil en plus, histoire qu’il ne s’y attende pas. La faucheuse est sournoise et il est plus que probable que cela l’ait mis en colère, une fois de plus me direz-vous. Mais la colère de l’icône du free européen était saine et nécessaire. Je vais le regretter longtemps car on ne peut pas dire qu’il y ait beaucoup de relève dans ce vingt et unième siècle imprégné de sectarisme à la con, toutes tendances confondues. Des fêlés du bocal avec le Q.I d’une fourchette qui s’excitent pour un oui ou pour un non, cela ne manque pas, tout le contraire du maître allemand dont l’humanité souffrit de la connerie humaine, souffrance qu’il évacua et magnifia dans sa musique faite de brûlots aussi salutaires qu’explosifs qui ont marqué leur temps et même posé un jalon définitif dans l’histoire du jazz. Reste dans les limbes de ma mémoire ce concert incendiaire de 2016, un rite apocalyptique, avec Steve Swell et Paul Nilssen-Love où il asphyxia littéralement le public et moi avec.

Ceci posé là, il y avait donc au Chien à 3 pattes le trio Lili’s Bakers, trio tirant son nom de Lili Boulanger, première femme récompensée par le Grand Prix de Rome en 1913. Saxophone, piano et contrebasse, c’est une formule que j’apprécie et ce soir-là, je l’appréciai d’autant plus que les musiciens mirent principalement au premier plan des compositrices, notamment Fanny Mendelssohn et Carla Bley. Ils ajoutèrent à la playlist leurs propres compositions et un titre de Charlie Parker pour faire bonne mesure. Avec des arrangements tirés au cordeau et privilégiant la mélodie, ces trois-là firent une sacrée impression au public. Il y eut les bonnes notes au bon moment, pas de virtuosité gratuite (et trop souvent envahissante), du grain là où il fallait et un désir de bien jouer parfaitement maîtrisé grâce à une réelle interaction et des qualités de jeu évidentes. Alors, même si ce jazz de chambre au feeling déjà assuré me parut à certains moments encore vert, notamment pour s’aventurer au-delà des bordures, mes oreilles et moi constatâmes que ces jeunes pousses n’avaient pas attendu d’être vieilles pour être bonnes, que ce soit par la musique ou par la posture. Pour finir, leur rappel n’en fut pas un, stricto sensu, puisqu’ils rappelèrent sur scène le groupe de jazz de l’école de musique de Belleville sur Saône qui fit leur première partie, un groupe avec deux saxophonistes arborant fièrement leurs onze ou douze ans, un clarinettiste ayant à peine plus de six décennies d’avance sur elles, un adolescent à la guitare qui préparait là son bac de français et un jeune bassiste, le tout sous la direction de Lisa Bertrand, leader de Lili’s Bakers. Sur scène, cela fit baisser la moyenne d’âge bien en deçà de l’habitude et, oserai-je le dire, le public en comparaison ressemblait au mieux à l’armée de terre cuite de l’empereur Qin Shi Huang (259-210 avant J.C.), moi compris hélas. Tout ceci survint un 25 juin très estival, jour qui vit disparaître en 1976 Johnny Mercer, auteur compositeur interprète, co-fondateur de Capitol Records. C’est lui qui écrivit les paroles de Moon river pour Audrey Hepburn dans Breakfast at Tiffany et quelques dizaines d’autres titres passés à la postérité au rayon standards de jazz. C’était également le jour du dicton le jour de la saint Prosper, n’oublie pas de fumer la terre. Le terreau du jazz n’a qu’à bien se tenir. Et Schuss Peter, les géants ne meurent jamais.


LILI’S BAKERS

Lisa Bertrand : saxophone alto
Pierre Mer : piano
Antoine Fontanel : Contrebasse)


http://www.chien3pattes.com/index.php