Jeudi 20 juillet 2023

Festival du Crescent, le retour. Pourquoi me priverais-je ? Je ne vous le demande pas, j’y vais. Canicule ou pas, je suis bien au bord de la Saône et le public aussi. Une première partie avec le septet du Crescent, un classique, et ensuite la nouvelle sensation made in New York, le dénommé Immanuel Wilkins. C’est qui ce bougre de gamin (1997) qui a pour mentor Ambrose Akinmusire et que Jason Moran a produit et emmené en tournée ? C’est la question que je me posais avant d’y coller mes oreilles. Faut dire que personne ne m’a pas envoyé ses deux disques, à moins qu’ils ne soient passés à la trappe ente deux piles de nouveautés. De toute évidence, il est mystique. Je l’ai lu, je ne suis pas devin, et c’est sous ces auspices qu’il place sa musique. En sus, il est affublé du prénom qui va bien et si vous jetez un œil à la première page de son site, vous comprendrez de suite de quoi il retourne. Ceci dit, ce jeudi-ci, je me fichais de savoir s’il était croyant ou athée, vegan, omnivore ou végétalien. J’étais là pour la musique. Notez cependant qu’il assure que sa spiritualité est mêlée à la philosophie, de par la critique sociale de l’Amérique noire qu’il fait, et vous êtes prêts à l’écouter. Et d’ailleurs, ce fut une belle surprise. En ce 20 juillet qui vit naître Carlos Santana (1947), le quartet vint au complet à une exception près, le remplaçant du contrebassiste original fut remplacé par Matt Brewer, ce qui en soi ne fut pas un problème car le nombre de ses collaborations est tel que son curriculum est aussi long qu’un rouleau de papier toilette. Dès les premières notes, le niveau de jeu fut stratosphérique. Que ce soit le leader ou ses compères, tous s’employèrent à mettre sur orbite une musique emplie de détails et de nuances. Qu’ils se lançassent dans des échappées libres ou qu’ils collassent au thème, ils le firent avec une rare homogénéité et une lisibilité de tous les instants. C’est ce que l’on appelle poliment un quartet de tueurs. Le public ne s’y trompa pas et sut apprécier à sa juste valeur cet univers musical exigeant. Immanuel Wilkins laissa de l’espace à ses musiciens et ils ne se privèrent pas de l’occuper avec inventivité et justesse, notamment le pianiste dont le jeu laissa transparaître un goût assumé pour la musique classique. Quant au leader, ses interventions furent celles d’un catalyseur et, dès lors qu’il jouait, la pertinence de son propos apportait au groupe l’essence même du discours global. Le concert s’acheva sur un duo piano saxophone d’une douceur et d’une finesse telles que le public eut quelque peine à demander le rappel. Il eut néanmoins lieu et les quatre lascars se lancèrent dans une cavalcade joyeusement effrénée, histoire d’achever l’auditoire. Une tuerie, vous dis-je. Même un célèbre fondateur de festival isérois, présent au premier rang, avoua avoir pris une bonne baffe. De mon point de vue, un seul petit bémol : quelles que furent l’excellence du quartet et des compositions d’Immanuel Wilkins, je trouvai que les thèmes manquaient un peu d’épaisseur et d’accroche. Peut-être est-ce mon côté vieux con qui aime que le mélodique transparaisse, quel que soit le contexte. Mais c’était, souvenons-nous, une des forces de Coltrane ou d’Ornette, entre autres. Tiens d’ailleurs, dans un autre genre, j’écoute en écrivant ces lignes The Jazztet et son disque live Real time (1986). Ah ben si vous voulez du thème accrocheur, appelez donc Benny. Vu son grand âge (1929), il ne souffle plus trop mais il pourrait certainement encore écrire des mélodies à la Whisper Not, Blues March, Stablemates, Killer Joe ou I remember Clifford. Enfin je dis cela, je ne dis rien. C’est juste de la causerie (sans lilas).


Immanuel Wilkins : saxophones
Micah Thomas : piano
Matt Brewer : contrebasse
Kweku Sumbry : batterie


https://www.immanuelwilkins.com/