Vendredi 25 août 2023, vers 19 h 00

J’aime beaucoup rêver. Alors j’aime les gens qui m’offrent ce luxe, et particulièrement les musiciens. Avec le trio Rhizome, d’Alain Blesing, Claudie Boucau et Richard Héry, je fus servi sur un plateau finement ouvragé par des artisans d’art détenteurs d’un héritage seventies où les possibles engendraient d’autres possibles. C’était un temps exploratoire qui élargit grandement les consciences, qui les sortit d’une sorte de passé figé dans un conformisme franchement rigide aux entournures. Depuis lors, le libéralisme, qu’il soit néo ou ultra importe peu, a consciencieusement noyé dans un flot de fric et d’égotisme puant les idéaux et les utopies ce monde ancien qui aurait pu naître et, qui sait, faire la différence. C’est ainsi. Toujours est-il que ce trio, qu’ils usent d’instruments classiques ou d’autres plus exotiques et surprenants, m’offrit en partage un moment de paix, un allongement de la temporalité, fort bienvenu. Ces musiciens que les gros festivals (entrepreneurs mercantiles en uniformisation) bêtement ignorent, Jazz Campus les accueille. Ils sont talentueux, originaux et créateurs de paysages aux saveurs nomades. Ils savent lier l’air et les notes, esquisser des épures et brouiller les cartes. Cela devrait suffire, non ? Mais peut-être sont-ils dangereux avec leurs bons sentiments et leurs déviances humanistes ? Méfions-nous de ces sans chapelle, de ces olibrius enclin à la liberté vive par amour de l’autre. Leurs rhizomes pourraient se propager et nuire à l’économie de marché. Malgré ces élucubrations donquichottesques, je n’oublie tout de même pas qu’ils sont avant tout des musiciens impressionnants de savoir et de modestie, des interprètes habiles et inspirés, des personnes souverainement humaines. Je le constatai avec un plaisir infini (et un sourire bien accroché sous le nez) dans le farinier de l’abbaye de Cluny où ils se produisirent. Bien que le temps le temps leur fût compté, le public exigea un rappel imprévu, qui eut lieu, en arguant que le concert suivant pouvait attendre. J’en profitai et l’homme tête de chou attendit son tour. Mais ça, c’est la chronique suivante. Et au fait, dites-moi : vous souvenez-vous de Tete Montoliu (1933-1997), pianiste catalan aveugle ? Il trépassa en ce 24 août. C’était en 1997. Cela ne nous rajeunit pas. Quant à Tete, il n’a plus vieilli depuis et ne vieillira plus. Le veinard ! J’aime toujours écouter ces disques, notamment ceux avec NHØP chez Steeplechase. Pas vous ?


RHIZOME

Claudie Boucau : flûtes
Alain Blesing : guitares
Richard Héry : clarinette, percussions

https://alainblesingprojects.bandcamp.com/album/a-r-c-en-ciel


Jeudi 24 août 2023, vers 21 h 00

Décidément cette année, les jazzmen présents à Jazz Campus apprécient grandement de tarabiscoter à leur sauce les musiques d’autres univers. Ainsi en ce soir particulièrement suffocant et dégoulinant (on les attend longtemps les grosses chaleurs, dixit Charlélie), Daniel Zimmermann et ses acolytes avaient choisi de s’attaquer à feu Gainsbourg et non au décédé Gainsbarre. De fait, au gré des morceaux choisis, ils l’attaquèrent de tous côtés. Et je te dynamite un Comic Strip, et je te saucissonne Bonnie and Clyde, et je te ralentis les Machins choses, et je te groove Mélody Nelson, et que j’en passe, je ne suis pas l’exégète de la soirée, merde alors ! Pour faire bonne mesure (mais qu’est-ce qu’une bonne mesure ?), ils ajoutèrent à ces détournements quelques compositions du tromboniste, histoire de rappeler aux ceusses qui ne le savaient pas qu’il a d’autres faits d’arme à son actif. L’ensemble fut cohérent. Ça, c’est déjà un tour de force. Ils eurent en outre le culot d’être généreux et de jouer longtemps. Quitte à liquéfier l’ensemble du théâtre, scène comprise, autant pousser le bouchon dans ses derniers retranchements. A l’image de leur musique, ce fut joyeux et ludique, souvent décalé et toujours inventif. Il m’apparut clairement que le maître Serge du détournement et du pompage de mélodies écrites par d’autres eut donné son aval au projet car, aussi différent soit-il des originaux, il se déroula dans un état d’esprit assez similaire au sien : celui des créatifs n’en faisant qu’à leur tête. Durant une heure trois quarts (à une vache près) l’ondulant guitariste gesticula ses soli sans vergogne, le bassiste servit de la note lourde légère du plus bel effet, le batteur burina ses fûts avec une force appliquée et le leader sut lier les uns aux autres avec son habituelle finesse. Massa dictum est (latinum approximatifum), comme on dirait chez les curetons, et le bon peuple des spectateurs (de drôles de paroissiens) baigna dans son jus, au propre comme au figuré, ivre de plaisir, en attendant le salvateur orage qui ne vint finalement qu’au cœur de la nuit, du moins du côté de ma grotte. La suite au prochain épisode.


L’HOMME A TËTE DE CHOU IN URUGUAY

Daniel Zimmermann : trombone, arrangements
Pierre Durand : guitare
Stéphane Decolly : basse
Julien Charlet : batterie


https://www.jazzcampus.fr/